Auteur : Sébastien Lifshitz né en 1968 est un acteur, scénariste, réalisateur français. Après un passage à l’École du Louvre et à la Sorbonne en Histoire de l’art, il réalise en 1993 son premier court métrage, Il faut que je l’aime, et signe deux ans plus tard un documentaire sur Claire Denis. Il réalise ensuite un moyen métrage très remarqué, Les Corps ouverts, Prix Jean Vigo 1996. Après un téléfilm Terres froides (1999), il sort son premier long métrage en 2000, Presque rien, puis un documentaire La Traversée (2001). Il revient à la fiction en 2004 avec Wild Side, puis Plein Sud (2009) qui sont des réflexions sur l’identité. Il poursuit sa veine documentaire et signe en 2012 le magnifique Les Invisibles, sur les gays et lesbiennes des années 1950. Un an plus tard sort Bambi, très beau portrait d’une femme transgenre qui illumina les nuits parisiennes dans les années 1960. Dans Les Vies de Thérèse (2016) il raconte les combats et les amours de la féministe Thérèse Clerc, à l’heure où la vie menaçait de la quitter. En 2020 il réalise Adolescentes (voir fiche du 18 septembre 2020) où il accompagne pendant une décennie deux jeunes filles, puis Petite fille, sur une petite fille trans.
Résumé : Le documentariste signe un nouveau long-métrage dans lequel il accompagne les derniers mois d’activité d’une cadre infirmière à l’hôpital Nord de Marseille.
Analyse : Un remarquable documentaire, délicat, lumineux, d’une grande finesse sur une tranche de vie d’une cadre-infirmière qui 40 ans durant a consacré sa vie à l’hôpital et qui est à la veille de prendre sa retraite. Comme à son accoutumée Lifshit se tient au plus près de son héroïne, la suivant avec tendresse à la fois dans son milieu professionnel et dans sa vie familiale, en sachant se faire oublier. Un récit émouvant, drôle parfois, avec une joie de vivre qui fait envie malgré le contexte de ce service hospitalier : on est au début du Covid dans le service d’oncologie, aux soins palliatifs, où la mort est au quotidien. Les histoires que raconte Sylvie sont poignantes car la mort à l‘hôpital ne concerne pas que les personnes âgées, une mère de quarante ans dont il faut décider si on fait venir sa petite fille de 9 ans avant le grand départ, la mort d’une enfant de 12 ans… Ce quotidien affecte les soignants d’autant plus qu’ils et elles sont confronté.e.s à des difficultés par manque de lits, de personnel, bref à la crise profonde de l’hôpital public aujourd’hui. Ce beau portrait de femme, bouleversant, rend hommage au dévouement, à l’engagement de celles et ceux qui consacrent leur vie aux autres, à leur intelligence face à la pénurie et au manque de moyens. Sylvie est sérieuse, rigoureuse, lumineuse, joviale, d’un dévouement sans faille ; elle a passé quarante ans à l’hôpital public alors que la moyenne de durée des infirmières est aujourd’hui parait-il de sept ans ! Mais elle est à un moment de sa vie où elle souhaite vivre un peu pour elle. D’autant que la maladie la guette, son corps lui fait mal, elle n’entend plus très bien, elle a été victime d’un AVC. Sa mère a multiplié les cancers et elle porte le même gène. Le réalisateur ne nous immerge pas dans une atmosphère étouffante. Au contraire, on se sent bien aux côtés de ces infirmières qui n’ont pas oublié d’être coquettes, drôles et gaies. De plus il nous ménage des moments de bonheur familial, de paix dans de magnifiques paysages, de discussions savoureuses entre Sylvie et sa mère, elle-même ancienne infirmière, à l’humour chevillé au corps malgré ses ennuis de santé. Sylvie a le sens du temps qui passe d’autant qu’elle sait la fragilité de l’être et que la mort est son quotidien ; elle en parle souvent “Le temps passe vite” ; “le temps défile plus vite que nous” ; “c’est la vie qui va vite”… Elle veut légitimement profiter de ce temps qui reste. Une scène drôlissime de la « fête » de son départ où les infirmières se transforment en potaches, se poursuivant dans les couloirs de l’hôpital en s’aspergeant de mousse à raser et de bétadine. Une respiration ludique dans un monde de stress et de tension.