Auteur : Pawo Choyning Dorji, né en 1983, est un producteur, réalisateur, scénariste, bhoutanais. Il obtient un diplôme en sciences politiques à l’Université Lawrence aux États-Unis en 2006. Il obtient ensuite une qualification en philosophie bouddhiste à l’Institut bouddhiste Sarah à McLeod Ganj en Inde en 2009. Il est photographe dans divers revues et est l’auteur de plusieurs livres d’études photographiques. Fervent bouddhiste, Dorji est l’élève du célèbre maître bouddhiste et cinéaste Khyentse Norbu et a découvert le cinéma en travaillant avec lui, d’abord en tant qu’assistant réalisateur sur Vara : A Blessing (2013), puis en tant que producteur de Hema Hema (2016). En 2019, il réalise son premier long métrage L’École du bout du monde, dont l’histoire se déroule dans une école de Lunana, village isolé de l’Himalaya, présenté au Festival du film de Londres. Ce film a remporté le prix du public du meilleur long métrage narratif au Festival international du film de Palm Springs en 2020 et est nominé aux Oscars. Le 17 décembre 2022, à l’occasion de la 115e Journée nationale du Bhoutan, Dorji a reçu la plus haute distinction civile du Bhoutan, l’Ordre royal du Bhoutan, le Druk Thuksey, des mains du roi, devenant le plus jeune lauréat de l’histoire du Bhoutan et le premier cinéaste bhoutanais à recevoir le Druk Thuksey. Le deuxième long métrage de Dorji, Le Moine et le fusil, a été présenté au 50e Festival du film de Telluride, puis au 48e Festival international du film de Toronto, et a été présélectionné aux Oscars.
Interprètes : Tandin Wangchuk (Tashi) ; Kelsang Choejay (Lama) ; Deki Lhamo (Tshomo).
Résumé : 2006. Le Bhoutan s’ouvre à la modernisation et découvre Internet, la télévision… et la démocratie. Pour apprendre à son peuple à voter, le gouvernement organise des « élections blanches ». Mais dans le pays du Bonheur National Brut, où la religion et le Roi importent plus que la politique, les habitants semblent peu motivés. Cependant, dans une province montagneuse reculée, un moine décide d’organiser une mystérieuse cérémonie le jour du vote et charge l’un de ses disciples de trouver un fusil…
Analyse : Le deuxième film de Pawo Choyning Dorji est un beau conte philosophique, plein de poésie, de délicatesse, de tendresse, avec ses tensions et ses revirements. Il nous revoie à une réflexion sur les limites de la démocratie. Cette démocratie à l’occidentale que veut instaurer le roi dans son pays est présentée avec une certaine ironie malicieuse. D’ailleurs certains membres de la communauté se demandent avec inquiétude à quoi elle peut bien servir car tout le monde s’entend bien et voilà qu’il va falloir se disputer pour le pouvoir ! Il faut dire que le Bhoutan, pays grand comme la Suisse, enclavé entre la Chine et l’Inde aux confins de l’Himalaya, est très particulier. La télévision, l’accès à internet étaient encore interdits au début des années 2000. Au lieu d’adopter la norme internationale du PIB, il préfère mesurer l’indice du bonheur national brut (BNB). Le film se situe au moment historique où le roi, monarque absolu mais très éclairé a abdiqué en faveur de son fils pour que son peuple puisse choisir ses dirigeants dans le cadre d’une royauté constitutionnelle. Pendant tout le film on voit des émissaires de la capitale parcourir les campagnes reculées organiser des élections blanches pour apprendre au peuple à voter. Cet apprentissage se fera en choisissant entre plusieurs partis : le bleu pour défendre la liberté et l’égalité, le rouge pour le développement industriel, le jaune pour l’environnement. Le film mêle plusieurs histoires en une avec une parfaite cohérence : celle d’un moine, autorité religieuse et spirituelle, le Lama, qui dépêche l’un de ses assistants pour lui trouver un fusil ; celle d’un guide qui accompagne un américain trafiquant d’armes de collection à la recherche d’un fusil datant de la guerre de sécession ; celle d’une fonctionnaire, persuadée que la démocratie à l’occidentale est le meilleur des régimes pour le bonheur du peuple et qui va lui enseigner avec conviction le nouveau processus électoral ; celle d’une famille qui se déchire en raison des choix électoraux du père. Le récit, avec suspens et rebondissements, est énergique, d’un humour fin, décalé et d’une grande ironie à l’aune de l’actualité. Par exemple un fonctionnaire se montre particulièrement enthousiaste de rencontrer pour la première fois un Américain, un citoyen, dit-il, de la plus grande démocratie du monde, dont il attend des leçons politiques…. Je ne dévoilerai pas pourquoi le moine veut un fusil. Il veut, à ses dires, « redresser la situation ». Mais c’est assez cocasse. Ce beau film, résolument optimiste, fenêtre sur un pays si peu connu et ses somptueux paysages a en plus le mérite de nous ouvrir à une culture aux antipodes de la notre, et de nous montrer que la grande pauvreté peu s’accompagner d’un détachement philosophique des richesses matérielles. Une belle leçon de morale et de politique.