À son image

Auteur : né en 1970, Thierry de Peretti est un acteur et réalisateur français. Il commence sa formation au cours Florent au sein de la classe libre. En 2001, il est lauréat de la Villa Médicis Hors les murs et obtient le prix de la Révélation théâtrale du Syndicat national de la critique. Il joue tant avec des metteurs en scène que dans des spectacles qu’il met en scène lui-même. Puis il joue au cinéma sous la direction notamment de Patrice Chéreau, de Bertrand Bonello ou d’Alain Raoust. En 2005 il réalise un premier film court, Le Jour de ma mort. En 2013 il réalise Les Apaches sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, puis Une vie violente en 2017, sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes et en 2022 Enquête sur un scandale d’État. Son film À son image, adapté du roman de Jérôme Ferrari (2018), a été sélectionné à la Quinzaine de cinéastes à Cannes 2024.

Résumé : Antonia est une jeune photographe de Corse-Matin à Ajaccio. Son engagement, ses amis, ses amours se mélangent aux grands événements de l’histoire politique de l’île, des années 1980 à l’aube du XXIe siècle. 

Interprètes : Clara-Maria Laredo (Antonia) ; Marc’Antonu Mozziconacci (Simon) ; Louis Starace (Pascal).

Analyse : Ce dernier film de Thierry de Peretti est une grande réussite. J’avais des réserves sur ses deux précédents, Une vie violente et Enquête sur un scandale d’État, dans lesquels je trouvais qu’il prenait trop de distance avec son sujet. Ici la distance qu’il peut prendre sert magnifiquement son sujet. Dans un style sobre et dépouillé le film retrace la vie d’une jeune fille Corse passionnée de photographie, qui va documenter l’évolution des activités militantes nationalistes durant les années 80. Vingt ans de luttes clandestines et violentes, du massacre de Bastelica-Fesch (1980, prise d’otage de trois barbouzes), au double homicide du 6 juin 1984 dans la prison d’Ajaccio et autres opérations commandos, jusqu’à l’assassinat du préfet Érignac (1998). C’est une grande fresque romanesque, ponctuée par des images d’archives avec une réflexion sur la capacité de la photographie à immortaliser l’histoire et un questionnement sur la mise en image de la violence par les reporters.

Un film sombre et lumineux, emprunt d’une certaine mélancolie, où la mort est toujours présente ; celle d’Antonia d’abord dont on voit la voiture quitter la route dès la première scène, le reste du film devenant, dans une intéressante construction, un flash-back sur ce qu’aura été sa courte vie de photographe de presse ; celle de ses compagnons autonomistes, la mort qu’ils donnent, celle qu’ils subissent. Construit avec une voix off pour coller au plus près au roman éponyme de Jérôme Ferrari, ce film nous livre un regard de femme qui photographie un monde d’hommes qui ont des idéaux qui peuvent dériver vers une forme de fanatisme, une colère assassine, à tous les sens du terme. Des femmes qui s’interrogent, nous qu’est-ce qu’on va être ? des femmes qui vont compter les morts, qui vont passer nos vies aux parloirs des prisons ? Belle fresque d’une génération qui cherche sa place, tout comme Antonia cherche la sienne. Intelligente, ambitieuse et indépendante elle tente de se démarquer de l’esprit de clan, du système patriarcal qui régit la société insulaire et de cette violence. Elle éprouve le besoin de partir sur d’autres scènes de guerre, à Belgrade en pleines guerres d’ex-Yougoslavie, où elle retrouve la même folie meurtrière des hommes. Le réalisateur porte un regard sans illusion sur l’utopie d’un groupe de jeunes militants, prêts à vivre et à mourir pour leurs idées, jusqu’aux règlements de compte suicidaires. Un constat sombre et plein de nostalgie. Dans une mise en scène sobre et précise ponctuée par un beau choix musical, avec de très belles photos, Thierry de Peretti réalise un beau film, riche, subtil, remarquablement interprété par des acteurs non professionnels.

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