Autrice : née en 1960 Patricia Mazuy est une réalisatrice, scénariste et actrice française. Après un an à HEC, où elle s’occupe surtout du ciné-club, elle part pour les États-Unis et devient nounou à Los Angeles. Au début des années 80, une succession de rencontres la conduit définitivement vers le monde du cinéma. Avec l’actrice Laure Duthilleul elle réalise son premier court-métrage, et rencontre également la réalisatrice Agnès Varda ainsi que la monteuse Sabine Mamou. Cette dernière lui donne sa chance comme stagiaire sur Une chambre en ville de Jacques Demy. Après avoir monté quelques films, dont Sans toit ni loi, elle s’oriente vers la réalisation. Peaux de vaches son premier métrage sort en 1989 et obtient une nomination au César du Meilleur premier film. Mais, ne parvenant pas à mener à bien ses autres projets pour le cinéma, la réalisatrice se tourne vers le petit écran, signant des épisodes de séries américaines, et un documentaire sur les bovins (Des taureaux et des vaches). Avec Travolta et moi (1994), sa contribution très remarquée à la série d’Arte Tous les garçons et les filles de leur âge, elle reçoit un Léopard de bronze au Festival de Locarno. Ce n’est qu’en 2000 que sa troisième réalisation, Saint-Cyr, voit enfin le jour. Il reçoit les honneurs de la Sélection officielle au Festival de Cannes, et décroche le prix Jean-Vigo. Elle fait un retour inattendu en 2004, en co-réalisant avec son compagnon Simon Reggiani Basse Normandie. En 2012, elle signe Sport de filles. Après avoir joué dans des comédies, elle revient à la réalisation et met en scène Paul Sanchez est revenu (2018). La Prisonnière de Bordeaux a été présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2024.
Interprètes : Isabelle Huppert (Alma) ; Hafsia Herzi (Mina) ; William Edimo (Yacine).
Résumé : Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…
Analyse : Un joli film, plus subtil et complexe qu’il n’y parait. Patricia Mazuy semble avoir choisi ici la légèreté avec ce film plus accessible, aux antipodes de Bowling Saturne, tout en creusant ses thèmes favoris comme l’amitié féminine développé dans Saint-Cyr, et le thème des affres de la vie conjugale traité dans Peaux de vaches. Un scénario, co-écrit avec François Bégaudeau, Pierre Courrège et Émilie Deleuze, donne des dialogues brillants, subtils, très bien écrits et met l’accent sur la possible mais difficile amitié féminine au-delà des frontières de classe. Les hommes ne sont pas pour autant exclus de cet univers mais ils ont un rôle qui n’est guère valorisant. L’antipathique mari d’Alma, chirurgien réputé qui a tué, ivre au volant de sa voiture avec sa maîtresse à ses côtés, le mari de Mina, petit braqueur de bijouterie sans envergure, et le maître chanteur qui harcèle Mina pour lui soutirer de l’argent afin de « réparer » la mort d’un parent mort pendant le braquage. Les deux actrices jouent à merveille l’ambiguité de leur personnage. De ce point de vue on peut faire confiance à Isabelle Huppert, mais tout autant à Hafsia Herzi qui se révèle de films en films à la hauteur. La réalisatrice a évité tout manichéisme et ses personnages échappent aux clichés. Son habileté consiste à nous faire croire un moment à une amitié possible et sincère entre les deux femmes. Mais leurs nécessités vitales sont trop opposées et l’épisode de la fin, un premier moment de surprise passé, n’est finalement pas si surprenant. C’est aussi un film féministe, un film de femmes et leur lente émancipation d’une solitude dans laquelle elles sont toutes deux enfermées. Car « La prisonnière de Bordeaux » c’est tout autant Alma que Mina. Alma, coincée dans une ennuyeuse position de grande bourgeoise, humiliée par un mari volage qu’elle doit aller visiter en prison, prisonnière de son couple calamiteux, d’un mari peu aimant et d’une maison trop grande pour elle qui transpire l’ennui. La prisonnière de Bordeaux c’est aussi Mina, prisonnière de sa condition sociale, des dettes quelle doit payer pour un mari inconséquent, de la distance qui la sépare de la prison (elle habite Orléans, il est en réclusion en Aquitaine), des enfants qu’elle doit assumer seule. Toutes deux prisonnières d’un fardeau que leurs maris font peser sur leurs épaules. Un beau film subtil et intelligemment réalisé.