Septembre sans attendre

Auteur : Né à Madrid en 1981 Jonás Trueba est un réalisateur, scénariste et producteur espagnol. Après un court métrage il débute avec Todas las canciones hablan de mí (2010), nommé aux Goya. Il enchaîne avec Los ilusos (2013) et Los exiliados románticos (2015), Prix spécial du jury à Malaga. La reconquista (2016) remporte le Prix Ojo Crítico. Son film Eva en août (2020), le premier à être distribué en France, est nommé aux César en 2021 et connaît un grand succès en France. Qui à part nous, triplement primé à San Sébastián, remporte le Goya du Meilleur documentaire en 2022. Après Venez voir (2022), Septembre sans attendre (2024) a été présenté à la Quinzaine des Cinéastes à Cannes.

Interprètes : Itsaso Arana (Ale) ; Vito Sanz (Alex); Fernando Trueba (père d’Ale).

Résumé : Après quatorze ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision. Mais l’est-il vraiment ?

Analyse : Le réalisateur espagnol Jonás Trueba retrouve ses acteurs fétiches déjà vus dans Eva en août et Venez voir, Isaso Arana et Vito Sanz, dans cette comédie enchanteresse sur la fin d’une vie amoureuse. Alex et Ale décident de se séparer après une vie commune de quatorze ans. Sur l’idée du père d’Ale, ils décident de fêter leur séparation. L’essentiel du film est consacré à la préparation de cette fête et aux invitations lancées à leurs proches. Les réactions sont diverses mais manifestent généralement l’incompréhension ou l’incrédulité. La force de ce film, loin des clichés de la séparation de couple, est dans l’atmosphère qu’il distille dans ce couple au bord de la rupture. Aucun drame, aucune dispute, mais au contraire une atmosphère douce, de bonne entente et de complicité qui nous invite à nous demander le pourquoi de cette séparation, qu’on ne saura pas. C’est une réflexion douce-amère sur la relation amoureuse, sur ce qu’est cette relation, sur sa fin, ce qui donne au film une teinte de mélancolie. Mais cette subtile comédie de remariage n’est pas dénuée d’humour, voire du comique de répétition où les mêmes dialogues sont répétés comme une litanie : (« Alex et moi allons nous séparer » « les couples devraient fêter les séparations plutôt que les unions »), répétition qui est à double sens : l’annonce répétée de la séparation qui semble chercher la confirmation de leur choix, et la probable répétition de leur vie amoureuse (le titre espagnol du film n’est-il pas Volveréis, « vous reviendrez » ?). Jonás Trueba s’appuie sur des références littéraires. Le père d’Ale lui donne à lire deux auteurs, comme pour la convaincre d’un renouveau de leur amour, A la recherche du bonheur. Hollywood et la comédie du remariage (1993) de Stanley Cavell, philosophe américain de la comédie de remariage, mais aussi celui pour qui l’amour se construit par la discussion – préparer une fête de séparation, ne serait-il pas alors simplement « un moyen de faire quelque chose ensemble », comme nous l’explique Trueba – et Le cinéma nous rend-il meilleur ? du même auteur. Il lui confie également La Répétition de Søren Kierkegaard. Références philosophiques qui n’ont rien de pédant mais qui, au contraire, donnent au film une hauteur de vue. Une œuvre plus complexe qu’il n’y parait, drôle et triste à la fois, pleine de tendresse et d’émotion.

Le film est également une réflexion sur le cinéma. On assiste à une prodigieuse mise en abyme. Ale est en train de monter le film qu’elle vient de réaliser (dans la réalité Itsaso Arana est la compagne du réalisateur et vient de terminer son propre film). Mais les images se superposent au film qu’on est en train de voir de sorte qu’on a l’impression qu’elle a tourné le film que nous voyons à l’écran. Film dans le film où les frontières entre fiction et réalité se brouillent. De plus, Jonás Trueba a donné le rôle du père d’Ale, qui est à l’origine de l’idée de fêter la séparation, à son propre père, Fernando Trueba, cinéaste et critique important, qui dans la réalité est bien à l’origine de l’idée du film, ce qui donne une portée très intime au film. La fascination de Jonás Trueba pour la nouvelle vague française est manifeste tout au long de ce film. On pense à Rohmer bien sûr mais aussi à Rivette, Godard, Truffaut. Dans une vidéo que le couple revisionne ensemble, on les voit, à l’occasion d’un voyage à Paris, arpenter le cimetière de Montmartre à la recherche de la tombe de Truffaut. La scène finale de la fête est très émouvante car elle ressemble bien plus à une fête de mariage qu’à une fête de séparation de ces deux qui s’aiment vraiment.

Nota : la date choisie par le couple pour sa fête, le 22 septembre, l’a été en référence à la chanson de Brassens : Le 22 septembre

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