Autrice : Payal Kapadia, née en 1986 à Bombay, est une réalisatrice et scénariste indienne. Elle fait partie du club de cinéma de son école où elle gère sa première exposition à des réalisateurs, tels que Ritwik Ghatak et Andrei Tarkovski. Au début des années 2010, elle dépose sa candidature au Film and Television Institute of India, à Maharashtra, pour étudier le cinéma, où elle est acceptée après une deuxième tentative en 2012. En même temps, durant cinq ans, elle travaille comme assistante-vidéaste et vidéaste publicitaire dans la capitale. Après quatre courts métrages, de 2014 à 2018, elle réalise en 2021 son premier long métrage, Toute une nuit sans savoir, un documentaire qui obtient un certain succès. All We Imagine as Light, est son premier film de fiction qui a obtenu au festival de Cannes 2024 le Grand Prix qui est la Palme d’Or bis.
Interprètes : Kani Kusruti (Prabha) ; Divya P rabha (Anu) ; Chhaya Kadam (Parvaty).
Résumé : Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.
Analyse : Snobé depuis trente ans, le cinéma indien a réussi un retour remarqué au dernier festival de Cannes, avec en compétition officielle All We Imagine As Light de Payal Kapadia, Sister Midnight, de Karan Kandhari à la Quinzaine des cinéastes et le beau polar féministe Santosh, de l’Anglo-Indienne Sandhya Suri à Un certain regard, sorti en salles en juillet. Ce superbe film de Kapadia met en scène trois femmes à Mumbai (nouveau nom de Bombay). La première Prabha a été mariée à un homme qui travaille en Allemagne et à qui elle n’a pas parlé depuis plus d’un an. Elle est la colocataire d’Anu, plus jeune qu’elle, qui aime secrètement un musulman ce que la rigidité de sa culture ne permet pas, et qui évite les hommes que son père voudrait la voir épouser. Une troisième femme entre en scène, Parvaty, plus âgée que les deux autres. Elle est menacée d’expulsion du logement qu’elle a toujours occupé pour laisser place à un immeuble de haut standing. Ces trois femmes subissent les injustices et les interdits d’une société fermée qui laisse peu de place à leur liberté et à leur épanouissement personnel. Dans la première partie du film, retrouvant son attachement à la forme documentaire, la réalisatrice nous immerge dans la ville de Mumbai. Dans une déambulation urbaine elle capte le pouls de la ville ; des voies intérieures nous donnent le ressenti des habitant.e.s, leurs états d’âme, leurs préoccupations, ce qui n’est pas sans faire penser au cinéma de Jia ZhangKe. Elle s’attache aux amours contrariées des deux héroïnes, l’une qui accepte la disparition d’un mari, refusant toute autre possibilité d’un bonheur pourtant à sa portée, l’autre follement amoureuse d’un garçon qu’elle ne peut aimer au grand jour et avec lequel elle ne peut envisager d’avenir. La seconde partie bascule dans le rural, passant d’un réalisme documentaire à une fable à laquelle se mêle le fantastique. Là les trois femmes vont progressivement renaître de leurs frustrations. C’est une lente régénérescence dans une touchante et merveilleuse sororité. Avec un beau travail sur le son et l’image le film est d’une grande élégance, d’une grande beauté, et enveloppe, avec douceur et sensibilité, les personnages de sensualité et d’une singulière poésie, pour nous offrir un lumineux portrait de femmes qui conquièrent une réelle émancipation. Un film lumineux, bouleversant d’humanité et de beauté qui a bien mérité son Grand prix à Cannes.