Auteur : Emanuel Pârvu, né en 1979, est un acteur et réalisateur roumain. Il s’est tout d’abord fait connaître comme acteur, notamment en flic justicier dans Dédales, de Bogdan George Apetri (2021), dans Fixeur d’Adrian Sitaru (2016), ou en procureur dans Baccalauréat de Cristian Mungiu (2016). Il a réalisé deux films inédits chez nous et son troisième long-métrage, Trois Kilomètres jusqu’à la fin du monde a été en compétition officielle à Cannes 2024. Il est lauréat de la Queer Palm.
Interprètes : Bogdan Dumitrache (le père d’Adi) ; Ciprian Chuijdea (Adi) ; Laura Vasiliu (la mère d’Adi) ; Ingrid Micu Berescu (Ilinca) ; Adrian Titieni (le prêtre).
Résumé : En Roumanie, après avoir été violemment agressé en pleine nuit en raison de son orientation sexuelle, un jeune homme devient la honte de toute une société liguée contre lui.
Analyse : Présenté en compétition officielle à Cannes où il a obtenu la Queer Palm, le film d’Emanuel Pârvu constitue un véritable choc sur le traitement que réserve toute une société d’un village du delta du Danube à l’homosexualité. Pour avoir sympathisé avec un touriste de passage Adi, pourtant victime d’un tabassage violent, est devenu le paria, la honte de ce microcosme et ne peut trouver quelque réconfort qu’auprès d’Ilinca, la jeune fille qui l’aime en secret et qui, pleine d’humanité, tente de l’aider, seul rayon de soleil pour ce pauvre garçon. Il est rejeté par tous qui ont chacun une bonne raison d’enfoncer le jeune homme. Sa famille d’abord qui ne comprend pas ; gens simples qui se sacrifient pour qu’il puisse entrer dans la marine, et qui sont complètement anéantis par la situation que leur fils ne nie pas ; le gendarme du village, au bord de la retraite qui ne le soutient pas ne voulant pas faire de vagues avec cette histoire bien embarrassante ; le mafieux du coin dont les fils sont les auteurs de l’agression, qui est, de surcroit, le créancier du père, et qui essaie d’acheter tout le monde ; l’Église enfin qui se mêle de guérir ce pauvre garçon de cette terrible maladie. Avec les parents, qui ligotent Adi pour l’occasion, on assiste à une terrifiante scène d’exorcisme d’un autre âge. Le cinéaste, par une mise en scène fine et intelligente, rigoureuse et efficace, parvient, sans misérabilisme ni manichéisme, à nous mettre au cœur de l’intégrisme religieux, de la corruption des autorités, de l’hypocrisie, de l’obscurantisme d’une population dont on imagine mal, malgré les contacts avec les nombreux touristes l’été, qu’elle puisse être aussi rigide, arriérée et obtuse. Une société où la crainte du qu’en dira-t-on est bien plus forte que l’amour que des parents devraient éprouver envers leur fils victime. Ils préfèrent voir en lui une cause de honte qu’il faut cacher et dompter.
Le réalisateur a utilisé de longs plans fixes qui renforcent l’idée d’une société verrouillée et figée dans une autre époque. Avec un très beau travail sur le son, Emanuel Pârvu a préféré n’utiliser aucune musique mais seuls les bruits de la nature, les oiseaux, le vent qui chante dans les saules… et puis les bruits des voisines, qui tondent leur pelouse ou qui médisent. Le film baigne dans une magnifique lumière ; le réalisateur précise : « On a discuté pendant huit à dix mois (avec son directeur de la photo, Silviu Stavilă) sur la couleur et les textures qui devaient accompagner les personnages. On a fait le choix de les mettre en pleine nature comme dans un écrin, où tout semble toujours silencieux et beau, un endroit loin du tumulte de la vie citadine. Donc visuellement on a voulu une atmosphère de paradis végétal, calme, légendaire comme le Danube, alors que pour les gens qui y vivent, dans le creux des maisons, en réalité, c’est l’enfer ». Un film captivant, implacable, courageux, qui finit sur une belle échappée sur le Danube.