Auteur : Paul Schrader né en 1946 est un scénariste et réalisateur américain. Son éducation calviniste à la sévérité extrême marque profondément son existence et son œuvre. Il découvre le cinéma sur le tard, sa famille lui interdisant de fréquenter les salles obscures. Il se consacre tout d’abord à la critique avant d’entamer une brillante carrière de scénariste (1975). Il doit sa célébrité à sa collaboration avec Martin Scorsese, qui débute en 1976 avec Taxi Driver et se poursuit avec Rading Bull (1980), La dernière tentation du Christ (1988) et A tombeau ouvert (1999). Le scénariste prête également sa plume à Brian De Palma, Peter Weir ou encore Harold Becker. En 1978, il fait ses débuts de réalisateur avec Blue Collar. Oscillant entre rigorisme moral et fascination pour les interdits, l’œuvre de Schrader explore les tabous. Celui de la prostitution masculine (American Gigolo), de la dévoration (La Feline) ou encore le suicide (Mishima). En 1999, il porte à l’écran le roman de Russell Banks (Affliction). Oh, Canada est son 24ème long métrage adapté également d’un roman de Russell Banks, décédé en 2023. Il a été en sélection officielle à Cannes 2024.
Interprètes : Richard Gere (Leonard Fife) ; Uma Thurman (Emma, sa femme) ; Jacob Elordi (Leonard Fife jeune).
Résumé : Un documentariste canadien célèbre et célébré, Léonard Life, accorde une ultime interview à ses anciens élèves, qui veulent le faire parler sur sa carrière professionnelle.
Analyse : Que cherche Leonard Life en acceptant cette proposition ? Planté devant la caméra en fauteuil roulant, il balaie très vite les questions préparées par l’interviewer. Il ne veut pas raconter sa vie professionnelle mais dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Il tient à ce que son épouse soit présente pendant cette confession. En phase terminale d’un cancer, rongé par la culpabilité, c’est pour lui l’occasion de de revenir sur son passé et en particulier sur des actes peu glorieux dont il n’est pas particulièrement fier et qu’il veut confesser avant de partir pour le grand voyage, en espérant une forme de pardon. Lui qui a été une figure majeure de la gauche américaine, un insoumis dans les années 1960, qui a préféré l’exil canadien à la participation à la guerre du Vietnam, qui a dénoncé les injustices et les violences du monde, a été également un homme lâche, un mauvais amant, un très mauvais père, un opportuniste, un ami traître, bref, un homme assez détestable. Le film suit, dans une forme complexe les méandres de la mémoire d’un vieux monsieur. Mêlant les temporalités ce film superpose plusieurs éléments : superposition de noir et blanc, de voix-off qui se contredisent parfois, d’acteurs même : au cours de la même séquence Léonard jeune (Jacob Elordi) est remplacé par son double plus âgé. Ce qui donne une narration désordonnée et fragmentaire, une apparence de confusion, d’autant qu’il manque des éléments dans ces souvenirs parfois confus et sans chronologie, comme dans la mémoire défaillante de Life. Mais très vite on est séduit par cette construction complexe, rigoureuse, ambitieuse et intelligente qui explore la difficulté à comprendre et à se souvenir de qui l’on a été. On a l’impression que le réalisateur se reconnait dans le personnage de Leonard. On retrouve son attirance pour les personnages hantés par la mort comme dans sa dernière trilogie : Sur le chemin de la rédemption, The Card Counter et Master Gardener. Il utilise ce passage du temps dans le choix du personnage principal. Il retrouve Richard Gere, sex-symbol en son temps, plus de 40 ans après American Gigolo, qui dans la peau de Fife est un personnage hanté par une mort proche et par l’image qu’il laissera en héritage. Un film beau et touchant.