Auteur : Raoul Peck, Raoul Peck est un réalisateur, photographe et journaliste haïtien. Ses parents fuient la dictature des Duvalier (qu’il évoquera en 1994 dans un court métrage, L’homme sur le quai) et s’installent définitivement au Congo. Il fait des études en France et en Allemagne où il entre à l’Académie du film de Berlin. Il est l’auteur de nombreux courts métrages et documentaires, dont L’école du pouvoir (2008) et sur Patrice Lumumba, qui sera le sujet d’une fiction intitulée Lumumba (2000). Professeur à l’Université de New York de 1994 à 1995, il devient ministre de la culture de la République d’Haïti jusqu’en 1997. I Am Not Your Negro (2016) a remporté de nombreux prix dont notamment le Prix du Meilleur documentaire à Philadelphie, le Prix du Public là Toronto et Berlin (ainsi que la mention spéciale du Jury œcuménique). Il était candidat aux Oscars 2017 dans la catégorie Meilleur documentaire. Ernest Cole, photographe a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes en 2024 où il a remporté l’Œil d’or du meilleur documentaire.
Résumé : Documentaire sur la vie courte et mouvementée d’Ernest Cole, photographe sud-africain qui fut le premier à exposer au monde entier les horreurs de l’Apartheid.
Analyse : L’œuvre du cinéaste haïtien, Raoul Peck, est marquée par la ségrégation raciale, et l’exil qu’il a lui-même connu. Après I am not your Negro, (voir ma fiche du 12 mai 2017), où il rend un magnifique hommage à James Baldwin, cet auteur américain, mort en 1987, chantre des droits civiques, il s’intéresse dans son nouvel opus au photographe d’origine sud-africaine, Ernest Cole, qui le premier a dévoilé dans ses clichés les horreurs de l’Apartheid dans son pays. Ce dernier a publié en 1967 House of Bondage qui a été interdit en Afrique du Sud. Ernest Cole y écrit notamment « Trois cents années de suprématie blanche nous ont réduits en esclavage et nous ont fait vivre cernés par la haine ». Menacé pour son engagement, Ernest Cole s’exile en 1967 aux États-Unis où il arrive plein d’illusions, persuadé de rejoindre un pays démocratique de liberté et de tolérance, où ses talents d’artiste seront justement reconnus. Il a dû déchanter rapidement en constatant que, comme dans son pays d’origine, la situation des gens de couleurs n’était guère enviable ; ils subissaient des violences et une sévère ségrégation légalisée. Le film met en parallèle les photos prises en Afrique du Sud et aux États-Unis où son travail est dévalorisé, où il n’est considéré que comme un photographe noir, toujours renvoyé à sa condition. Il a le mal du pays, d’un pays où il ne peut plus retourner. Raoul Peck nous raconte sa vie d’errance, à New-York, en Suède puis à New York de nouveau. Dépressif, désespéré, seul, il finit par perdre ses repères, vend ses appareils, sombre dans la misère, devient un moment sans domicile fixe ; il meurt d’un cancer du pancréas en 1990 quelques jours après la libération de Nelson Mandela. Le réalisateur donne la parole à cet artiste en utilisant des images d’archives et des textes qu’il a consignés dans son livre où il parle de son travail, de sa conception de la vie. Il utilise également des images d’actualité liées à l’Afrique du Sud (le premier ministre Hendrik Verwoerd, Frederik de Klerk ou Nelson Mandela), mais aussi internationales où l’on voit les discours de Reagan, Thatcher et Chirac alors premier ministre, approuver la critique du régime de Pretoria mais refuser toute sanction à son égard car elle desservirait ceux qu’ils veulent aider. On ne fait pas mieux en matière d’hypocrisie ! Dans une dernière partie le film devient un thriller devant une énigme non encore élucidée. C’est à la demande du neveu de Cole, Leslie Matlaisane, que Raoul Peck s’est penché sur cette histoire. Ce neveu s’est vu un jour confier par une banque suédoise plus de 60 000 négatifs stockés dans un coffre. On ne sait toujours pas aujourd’hui qui les a entreposés, qui a payé pour leur conservation. Il reste encore 524 clichés de Cole, parmi les plus connus, bloqués dans une banque en Suède qui rechigne à les restituer, ce qui met l’accent sur la spoliation, une fois de plus, de l’art noir.
La force et la puissance de ce film captivant, outre le portrait intime et politique d’un artiste méconnu, majeur dans la dénonciation des infamies de l’Apartheid, est que Raoul Peck a choisi de s’exprimer à la première personne, s’appropriant en partie les mots même de l’artiste, dans une voix off assurée par lui-même dans la version française. On a l’impression tout au long du film d’une grande intimité avec cet artiste malheureux qui, en raison de la couleur de sa peau, n’a pas eu le destin qu’il aurait mérité.