
Auteur : Saïd Hamich, né en 1986 au Maroc, est un producteur, scénariste et réalisateur Français. Diplômé de la FEMIS et lauréat de la Fondation Lagardère, il a collaboré avec des cinéastes tels que notamment Faouzi Bensaïdi, Philippe Faucon, Leyla Bouzid, Nabil Ayouch ou Yasmine Benkiran. En 2018, son premier long-métrage Retour à Bollène est nommé au Prix Louis-Delluc du premier film. En 2022, son court-métrage Le départ est sélectionné dans de nombreux festivals internationaux – Namur, Rotterdam, Palm Springs, Cleveland, Clermont-Ferrand, Grenoble… -, reçoit une vingtaine de prix et est nommé aux César. La Mer au loin, son deuxième long-métrage, a été présenté en séance spéciale à la Semaine internationale de la critique à Cannes 2024.
Interprètes : Ayoub Gretaa (Nour) ; Anna Mouglalis (Noémie) ; Grégoire Colin (Serge) ; Omar Boulakirba (Houcine).
Résumé : Les années 1990, à Marseille. Un jeune émigré clandestin voit son existence prendre une tournure inattendue suite à sa rencontre avec un policier.
Analyse : Après son premier long métrage, Retour à Bollène, où Saïd Hamich racontait quelques jours du voyage de retour d’un homme dans sa ville natale, il revient sur le thème du déracinement de ceux qui sont obligés de partir de chez eux, abandonnant la terre mère. En étalant sur une dizaine d’années, de 1990 au début 2000, et trois chapitres, le destin de Nour, jeune marocain arrivé clandestinement à Marseille et sans papiers, le cinéaste filme la vie qui passe. Dans cette ville de Marseille, terre cosmopolitique, accueillante pour les natifs de nos anciennes colonies à un jet de bateau, l’ambiance est très festive, on rit, on boit, on fume, on danse sur cette belle musique Raï qui inonde tout le film, pleine de joie de vivre, de mélancolie et de nostalgie du pays perdu ; on vit tous ensemble dans des squats, d’amour et de ventes à la sauvette d’articles tombés du camion car il faut bien survivre, on est solidaires, avec le secret espoir de rencontrer un « Monsieur » ou « Madame Visa ». Le film fait bien ressentir combien cette gaité est destinée à supporter le sentiment d’arrachement qui les vrille. Jusqu’au jour où une descente de police vient faire éclater ce petit groupe et chacun suivra son destin. Nour est un personnage discret qui semble se laisser porter par la vie, qui observe, cherche sa place. On assiste, à partir du second chapitre, à son éducation sentimentale, comme celle de Fréderic Moreau de L’éducation sentimentale de Flaubert dont le réalisateur dit s’être inspiré. Le destin de Nour se situe à la rencontre d’un policier hors norme, Serge. À la suite d’une arrestation, il relâche Nour visiblement paniqué de devoir être reconduit dans son pays. On comprend parfaitement qu’il est attiré par Nour. Il forme avec son épouse Noémie, un duo hors normes ; libres, décomplexés, finissant leurs soirées dans des boites de nuit interlopes de travestis et de prostituées, pas toujours ensembles. De quoi bouleverser la culture et les préjugés de Nour. Pourtant il s’habitue à eux, il apprend doucement à s’émanciper. Ils sont ses anges gardiens, il retrouve son sourire et tombe sous le charme de Noémie. Mais il reste taraudé par la douleur du déracinement et l’envie de retrouver sa famille, son pays. Ce retour est un désastre. Le réalisateur nous dit combien certains exils sont sans retour. Une très belle scène finale où dans une discussion avec Houcine, un ami de la première heure, qui n’a pas eu les mêmes chances que lui, il réalise combien il est privilégié, qu’il n’a pas à regretter la vie dont il profite, qu’il doit se réconcilier avec ses racines et qu’il doit laisser « la mer au loin ».
Oscillant entre une réalité sociale et une romance, ce film est tout à la fois élégant, sensuel, mélancolique, gai, émouvant et généreux. Le réalisateur préfère mettre davantage l’accent sur l’émotion et le romanesque, plutôt que de faire un énième film politique sur l’exil et le misérabilisme des immigrés. Un beau film intelligent et attachant.