Black Dog

Auteur: Hu Guan, né en 1968, est un réalisateur chinois. Diplômé de la promotion 1991 de la prestigieuse académie de cinéma de Pékin, il devient le plus jeune réalisateur du Beijing Film Studio. Dans les années 1990, il réalise des films qui se sont fait connaître comme une voix importante de la sixième génération, notamment avec Dirt en 1994, une représentation de la scène musicale rock de Pékin tournée avec un budget restreint. Peu connu en France il est célèbre en Chine. À la tête d’un douzaine de films, il est connu chez nous pour un Direct to Video intitulé La Brigade des 800 (2020), une superproduction retraçant la guerre sino-japonaise qui reste l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma chinois.Black Dog a été sélectionné à Cannes 2024 dans la section Un certain regard et a obtenu le Prix Un certain regard.

Interprètes : Eddie Peng (Lang) ; Jia Zhangke (oncle Yao) ; Liya Tong (Raisin); Zang Yi (manager).

Résumé : De retour dans sa ville natale, aux portes du désert de Gobi, après avoir purgé une peine de prison, Lang travaille pour la patrouille locale chargée de capturer des chiens errants. Il se lie d’amitié avec l’un d’eux.

Analyse : Une histoire apparemment simple et banale, l’amitié d’un chien et d’un humain, tous deux cabossés de la vie. Mais en réalité un film qui dit beaucoup plus que sa trame veut bien nous dire. D’abord c‘est un brûlot politique qui a étonnamment échappé à la censure. Dans un village en bordure du désert de Gobi, les jeux olympiques de 2008 se profilent. Dans une Chine qui veut montrer sa modernité et l’avancement de son pays aux yeux du monde, il faut afficher une belle vitrine. La population, déjà en difficulté, est littéralement appauvrie et chassée de ses habitations misérables, irrémédiablement démolies par des bulldozers que l’on voit à l’œuvre. En partant ces gens ont laissé leurs animaux de compagnie, d’où la présence au village d’une multitude de chiens revenus à l’état sauvage. Des hauts parleurs diffusent constamment des consignes aux habitants, en substance, restez fiers et marchez la tête haute, et des actualités sur les futurs JO. Le film s’ouvre sur une scène saisissante : un minibus cahotant parcourt les pistes désertiques aux approches d’une petite ville. Une meute de chiens sauvages dévale la colline et fait perdre le contrôle du véhicule qui se renverse. En sort un être mystérieux, peu expansif, mutique, Lang, dont on apprendra qu’il rentre au village après avoir purgé sa peine de prison pour un homicide qu’il aurait commis des années auparavant. Au village où la valeur du pardon semble ne pas exister, il est poursuivi et harcelé par la famille de la victime. Lang réussi à se faire embaucher dans une brigade chargée de ramasser les chiens errants, sous l’autorité d’un ancien chef mafieux, incarné par Jia Zhangke lui-même, ce qui n’est pas surprenant car il y a du Jia Zhangke dans ce film. Un lévrier noir, traqué parce que particulièrement dangereux, qu’on soupçonne atteint de la rage, attire l’attention de Lang. On sent chez lui, ancien cascadeur à moto qui avait eu ses heures de gloire, une grande humanité. Ces deux êtres exclus de la société commencent à se reconnaitre et doucement, à s’apprivoiser. On assiste à des moments merveilleux et touchants, d’une grande tendresse entre l’homme et l’animal. Ce faisant Lang manifeste une forme de résistance vis-à-vis d’un monde où la défaite morale de l’homme est patente, un monde dur incapable d’aimer les siens, incapable de préserver ses racines et son patrimoine, incapable d’accorder son pardon, un monde vénal où les autorités décident d’infliger une taxe aux détenteurs d’animaux domestiques dont c’est souvent la seule source d’affection dans la vie. Dans ce contexte, Lang semble être le seul être pourvu d’humanité : il relâche le chien noir malgré la prime substantielle promise, il rend à une petite fille en pleurs son petit chien que la police vient de confisquer car la grand-mère ne peut payer la taxe. Son rapport au chien noir est d’une infini tendresse que l’animal lui rend bien ; tous deux parlent le langage des yeux et du cœur. 

Outre le fait d’être un film politique qui rappelle la Chine de Jia Zhangke, c’est un film d’une grande beauté formelle, entre film noir et western, avec des visions somptueuses de la steppe, des paysages arides à l’infini, rehaussés par une musique des Pink Floy de The Wall (« Mother » et « Hey You »), une nature fascinante dès lors qu’on ne l’habite pas. Un film magnifique de poésie qui aborde des thèmes comme la résilience, la rédemption, la solitude, la renaissance à la vie d’un Lang qui mutique et moitié sauvage devient très attachant. On est bluffé par le travail effectué par le cinéaste avec une centaine de chiens dressés. Une des dernières scènes du film est aussi stupéfiante que la première. Lang, sur sa moto, qui sort de la ville avec son chien, tombe sur une meute de chiens sauvages qui au lieu de l’attaquer, lui font une haie d’honneur, comme pour saluer un des leurs.

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