Auteurs : Fabien Marsaud est né le 31 juillet 1977, au Blanc-Mesnil, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Passionné de sport, particulièrement de basket, il atteint dans cette discipline le niveau national. Il passe un baccalauréat littéraire puis obtient un diplôme d’études universitaires générales en Science et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). A 20 ans, lors d’une colonie de vacances qu’il anime, il plonge dans une piscine au niveau d’eau trop bas. Il en ressort tétraplégique incomplet et entre en rééducation pendant une année complète dans un centre spécialisé. Épisode qu’il racontera en 2012 dans un livre Patients. Il découvre le slam en 2003 et en référence à son accident et à sa taille (1,96 m) il prend le nom de scène de Grand Corps Malade. Commence alors une brillante carrière poétique et musicale. Il est marié et père de deux enfants.
Mehdi Idir est un ancien danseur hip-hop : passionné d’audiovisuel et autodidacte Mehdi Idir réalise ses premières vidéos dédiées à la culture urbaine en 2002. Après s’être perfectionné aux techniques de cadrage et de montage vidéo, il produit et réalise son premier documentaire en 2004. Il réalise depuis 10 ans les clips vidéo du slameur/rappeur Grand Corps Malade. Le film Patients qu’ils ont réalisés ensembles a obtenu le prix des lycéens et le prix d’interprétation masculine au festival de Sarlat.
Résumé : Après un grave accident, Ben qui se rêvait basketteur professionnel se retrouve tétraplégique incomplet. Pour les moindres gestes de la vie courante, se laver, s’habiller, manger, aller aux toilettes, il a besoin d’une aide-soignante. Au centre de rééducation il se fait des amis avec lesquels, grâce à leur solidarité et à leur empathie réciproques, il va s’accrocher à la vie, s’épuiser mais renaître, réapprendre à vivre. C’est cette période de vie que nous raconte le film
Analyse : C’est un sacré défi que s’est lancé Grand Corps Malade en adaptant au cinéma le livre Patients dans lequel il nous avait déjà relaté son parcours douloureux et sa renaissance par la force physique et mentale, avec le talent qu’on lui connaît : risque de lasser le spectateur par une histoire connue en l’enfermant une heure cinquante durant dans un centre de rééducation pour handicapés lourds. Défi gagné car à aucun moment on ne ressent ni sentiment de déjà vu, ni lassitude, ni ennui.
Durant son séjour dans ce centre GCM a côtoyé les personnages dont il s’est nourri pour son film. Il n’a pas pour autant pris le parti d’en faire un documentaire. Pour prendre la distance nécessaire et éviter un style trop réaliste GCM n’a pas filmé caméra à l’épaule. Distance nécessaire pour le spectateur également car nous sommes tout au long du film en présence de patients en situation de handicap lourd, des tétras, paras, traumas (crâniens), dans un univers que nous connaissons mal ou pas du tout. Et malgré un sujet aussi difficile nous sommes face à un film lumineux, bouleversant, débordant de vie et d’amour et d’une grande authenticité, même si parfois le désespoir affleure.
Comment a-t-il pu réussir un tel pari ? D’abord en prenant le parti de mettre en lumière l’histoire pleine d’espoir d’une reconstruction. Bien que les médecins aient annoncé à Ben qu’il resterait paralysé toute sa vie, on le voit retrouver peu à peu l’usage de ses doigts, de ses bras, de ses jambes au point d’arriver finalement à la station debout. Hymne à la vie qui nous donne une belle leçon d’espoir à nous, bien portants, qui n’avons plus le droit de nous plaindre. Ensuite c’est aussi l’histoire d’une extraordinaire fraternité qui anime tous les patients que les malheurs subis rendent pleins d’empathie et de solidarité pour l’autre, son frère sur un fauteuil roulant comme lui et qui connaît les mêmes galères. Car ainsi que le dit l’auteur « tout le monde est en galère ». Enfin en émaillant son film d’un humour corrosif, noir par moment mais qui fonctionne tant pour le spectateur que pour les patients qui arrivent ainsi à mieux supporter l’insupportable. Le personnel foutraque du centre est inénarrable. Les handicaps sont variés ; certains sont sans espoir, et pourtant ils rient de la vie, de leur absence de vie amoureuse ou sexuelle, du « téléphone adapté » du « fauteuil adapté », de la « fourchette adaptée », et de « l’espoir adapté », titre de la belle chanson de GCM qui clôture le film sur le générique.
Certes l’intrigue est réduite au microcosme du centre. Mais l’écriture est riche et ne manque pas de poésie, ce qui n’étonne guère de la part de ce slameur, poète et musicien. Il faut préciser qu’il a été aidé par une équipe de comédiens époustouflants qui tous sont entrés dans une peau qui n’était pas la leur avec talent, finesse, bonne humeur et surtout une humanité émouvante. Une mention spéciale à Pablo Pauly, trop rare au cinéma jusqu’ici, qui joue le rôle de GCM et qui au delà de l’attitude physique nécessairement figée, sait faire passer les émotions par un regard, un sourire, une boutade.
C’est dire que sur un sujet aussi scabreux, GCM a évité tous les pièges du genre : sensiblerie, apitoiement, sentimentalisme. On a parfois la larme à l’œil mais pas nécessairement de désespoir ; plutôt dans des moments d’attendrissement, notamment lors de la rencontre chargée d’émotion entre GCM et une ravissante malade du centre. Scène dans un long couloir, dont la caméra s’éloigne doucement pour nous donner toute la dimension de leur espoir, dialogue entre deux fauteuils, frôlement de mains. Tout est en finesse en délicatesse dans ce film même si les dialogues, notamment les vannes qu’ils se lancent les uns les autres pour chasser le noir, sont rudes et sans tabou.
Si l’on sort de ce film tout retournés, paradoxalement on n’est pas pour autant lourds d’angoisse mais presque légers et heureux de cette reconstruction possible quand tout espoir semble perdu, de cette foi en la vie et de cette belle leçon d’optimisme et de fraternité.
Un film profondément réussi, dans l’espoir qui veut laisser transparaitre, dans l’abime qui forcement habite tous ceux qui n’auront pas d’espoir.
Le juste équilibre, les mots justes, pour un univers forcement clos.
Une belle réussite cinématographique, et bien « adaptée ».