SAIGON, Caroline Guiela Nguyen
Caroline Guiela Nguyen est née en 1981. Après des études de Sociologie et d’Arts du Spectacle, elle intègre l’école du Théâtre National de Strasbourg en mise en scène. En 2009, elle fonde la compagnie les Hommes Approximatifs qui réunit Claire Calvi, Alice Duchange, Juliette Kramer, Benjamin Moreau, Mariette Navarro, Antoine Richard et Jérémie Papin. Après avoir monté quelques grands classiques, ils s’attaquent à leurs propres récits, aux corps manquants, aux histoires absentes des plateaux de théâtre. Dès lors, ils ne cesseront de peupler la scène du monde qui les entoure… Se souvenir de Violetta (2011), Ses Mains et Le Bal d’Emma (2012), Elle brûle (2013), Le Chagrin et Le Chagrin (Julie & Vincent) (2015), Grand Prix Italia 2016 de la création radiophonique et Grand Prix 2016 de la Société des gens de lettres de la Fiction radiophonique, Mon grand Amour (2016). Caroline Guiela Nguyen est associée à l’Odéon, théâtre de l’Europe et à la MC2: Grenoble. Depuis 2009, la compagnie est implantée à Valence et elle est membre du collectif artistique de La Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche.
Saïgon est la chronique, sur 40 ans, de 1956 à 1996, de quelques vies ballotées par la colonisation puis la décolonisation du Vietnam. De ces oubliés de l’Histoire dont la réalisatrice veut nous parler. Elle le fait avec une grande simplicité, beaucoup de sensibilité, de nostalgie et d’émotion.
Unité de lieu : le décors d’un restaurant vietnamien, à Paris ou à Saïgon. A gauche la cuisine ouverte sur la salle où officie Marie-Antoinette (Anh Tran Nghia), la star du spectacle, truculente petite bonne femme qui porte ses blessures dans un fils disparu pendant la seconde guerre, envoyé en France pour combattre. On lui a donné ce prénom parce que c’est celui d’une impératrice. Au centre la salle avec ses tables en aluminium et ses fleurs artificielles. A gauche, dans un décor kitch à souhait la partie karaoké avec des tentures lumineuses et des couleurs criardes. Restaurant qui est à Paris comme il était à Saïgon. Mais pas unité de temps. Nous sommes alternativement soit à Paris en 1956 lorsque les réfugiés vietnamiens arrivent en France, parce qu’ils avaient soutenu les français, ou parce qu’ils croyaient en une vie meilleure dans l’Hexagone, soit à Saïgon (Hô Chi Minh-Ville) en 1996 lorsqu’à la fin de l’embargo américain, le gouvernement vietnamien a décidé d’accorder des visas à ceux-là même pour qu’ils puissent retourner dans leur patrie de naissance.
Projection dans le temps de tous ces personnages liés au Vietnam et qui peu à peu reconstruisent leur histoire qui révèle l’Histoire. Leur dialogues sont pourtant d’une grande simplicité, ceux de la banalité quotidienne qui pourraient faire penser à une histoire banale, qui ne l‘est pourtant pas car ils nous racontent le vrai de ce qu’a été l’Histoire. Cette ambiance lente, mélancolique, douce et terrible à la fois, qui parle de l’exil, de la séparation, fait penser au cinéma asiatique ; d’ailleurs la pièce se déroule comme un film.
Caroline Guiela Nguyen se défend d’avoir fait une pièce sur la colonisation. Mais elle est la trame de sa pièce, avec ses conséquences, en particulier l’incompréhension entre les enfants nés en France et leur parents, entre ceux qui reviennent et ceux qui sont restés là bas. Et lorsqu’un personnage, qui représente les français de France, demande inlassablement « que s’est-il passé en Indochine ? », la réalisatrice nous rappelle combien de français de toutes conditions, d’intellectuels y compris, ont cru à la mission civilisatrice de leur pays et n’ont pas vu, ou voulu voir, combien celui-ci se dévoyait dans un impérialisme pourtant si contraire à ses principes fondamentaux.
Une belle œuvre avec un bémol toutefois. Les acteurs étant français ou vietnamiens, lorsqu’ils parlent vietnamien entre eux il y a des sous-titres ; mais lorsque les vietnamiens parlent français, quelques uns excepté, c’est inaudible. Et il n’y a pas de sous-titres. Un journaliste a écrit « On ne doit pas s’en plaindre, car cette inintelligibilité problématique, c’est tout le sujet de la pièce. » C’est possible mais il y a d’autres manières d’indiquer l’incompréhension que celle de mettre le spectateur dans l’inconfort de rater la signification de certains échanges.