Ibsen Huis (La maison d’Ibsen), d’après Ibsen par Simon Stone
Simon Stone, né en 1984 à Bâle, est un réalisateur (théâtre et cinéma), scénariste et acteur australien. Il fait ses études à Cambridge et retourne en Australie en 2007 pour créer une compagnie, la Hayloft Project. Sa première pièce, L’Eveil du printemps de Wedekind, est un véritable succès international. Suivent notamment en 2008 une version de Platonov dans un magasin de la banlieue ouest de Melbourne et un montage de la pièce de Tchekhov, Trois Soeurs, 3xSisters, qui figure à la programmation de la prochaine saison du Théâtre de l’Odéon à Paris. Ses succès font de lui un metteur en scène très recherché, tant en Australie où il est metteur en scène associé au Belvoir Theatre à Sydney, qu’en Europe où il participe régulièrement à de nombreux festivals. Il est associé au Toneelgroup Amsterdam dont le directeur est Ivo Van Hove bien connu, en particulier pour sa mise en scène des Damnés, présenté l’an passé au festival d’Avignon (voir le commentaire) et pour sa mise en scène de Vue du Pont (voir le commentaire), présenté en janvier 2017 au Théâtre de l’Odéon. Théâtre auquel est associé depuis l’an passé Simon Stone. C’est avec la troupe du Toneelgroup Amsterdam qu’il a monté Ibsen Huis (La Maison d’Ibsen).
Simon Stone m’avait enchantée cet hiver avec la présentation, au Théâtre de l’Odéon, de Médée, dans laquelle il avait repris un fait divers américain, où une mère, comme dans le mythe, avait tué ses propres enfants, dans un décor saisissant d’un blanc immaculé. L’enchantement persiste. Dans Ibsen Huis, il ne présente pas un texte du dramaturge norvégien qu’il connaît bien et qui le passionne, mais un texte à la manière d’Ibsen où l’on retrouve en filigrane tous les thèmes du grand Maître, la noirceur du monde, l’hypocrisie sociale, le passé qui empoisonne le présent et l‘avenir, les drames familiaux, les non-dits qui bloquent les destins. Son travail est collectif car c’est à partir des discussions nourries qu’il a eu avec ses acteurs qu’il a écrit cette pièce. Ils se sont inspirés des thèmes et des personnages que l’on retrouve dans Les Revenants, Un ennemi du peuple, Une Maison de poupée, Solness le constructeur, Le Canard sauvage, Le Petit Eyolf.
Le propos est simple. C’est l’histoire sur plusieurs générations, de 1964 à 2017, de la famille d’un architecte de renom, Cees, qui vient passer ses vacances dans la même maison familiale. Cette maison, qui est le personnage principal de la pièce, irradie dans la nuit, toute transparente, sans briques, création de ce fameux architecte, où le décors respire la paix et le bien être ; elle est pourtant le lieu de drames terribles, non-dits, cachés sous les apparences de la respectabilité et de l’amour familial. Cees, le patriarche, remarquablement interprété par l’exceptionnel Hans Kesting (les onze acteurs sont tous extraordinaires), se révèle être un usurpateur de l’invention de son neveu, un redoutable pervers qui a corrompu la candeur de sa fille Léna, de la fille de son frère Thomas, sa nièce Caroline, de sa petite fille Fleur. Mais comment dire l’indicible ? Ils se sont tous tus, sa fille Léna, de ce qu’elle a probablement subi, de ce qu’a subi sa propre fille ; Thomas, qui ne peut dénoncer ce qu’a subi sa fille, car il dépend de Cees qui ne se gêne pas pour le lui dire. Seule Caroline, qui est passée par la drogue et la marginalité, revient dans cette maison si douloureuse pour elle, à l’occasion de l’enterrement de cet oncle, pour essayer de dire, mais personne ne veut l’entendre ; elle se heurte au mur de l’hypocrisie familiale qui ne veut pas que soit entamée la réputation d’un si grand artiste. Stone traite également le thème de l’homosexualité de Sebastiaan, le frère de Léna, le mal aimé de Cees, et qui se meurt du Sida.
L’originalité de la scénographie est que la maison est posée sur une tournette, ce qui permettra à l’action de sauter d’une temporalité à l’autre lors de ses rotations, avec trois chapitres, après un prologue (La conception), le Paradis, le Purgatoire et l’Enfer. La dramaturgie remarquable et efficace de cet auteur nous fait passer non seulement d’une époque à une autre mais également d’une époque avec une autre ; le temps se télescope car les vivants sont parfois avec les morts, le même personnage est jeune et vieux à la fois, sans que le propos n’en devienne confus. La fin, l’enfer effectivement, est comme un bouquet de l’horreur où toutes les révélations de toutes les turpitudes éclatent dans cette maison qui tourne de plus en plus, et qui laisse le spectateur sonné pendant quelques secondes avant de reprendre son souffle en réalisant que c’est fini, que ce n’était que du théâtre, et de se lever en applaudissant à tout rompre. Génial Simon Stone !