Auteur : Après des études de réalisation au Collège de Cinéma et de Télévision de Téhéran, Jafar Panahi réalise plusieurs courts et moyens métrages pour la télévision de son pays. En 1992, il est engagé comme assistant d’Abbas Kiarostami. En 1995 il réalise son premier long-métrage, Le Ballon blanc, qui remporte la Caméra d’Or à Cannes la même année, le seul de ses films a avoir été distribué en Iran. Il signe ensuite Le Miroir, un documentaire « cinéma-vérité » (Léopard d’or de Locarno, 1997). Puis à partir de 2000 et tous les 3 ans : Le Cercle (Lion d’or à Venise), Sang et or, et Hors jeu (Ours d’argent 2006). Il est incarcéré en 2010 et ne peut participer au jury au Festival de Cannes. Suivent trois films clandestins : Ceci n’est pas un film, Rideau fermé (Ours d’argent 2013) et Taxi Téhéran (Ours d’or 2015).
Résumé : Au volant de son taxi, Jafar Panahi sillonne les rues de Téhéran. Au gré des passagers qui se succèdent, le réalisateur dresse le portrait de la société iranienne avec humour, émotion et une certaine tendresse.
Analyse : Ce film tourné au nez et à la barbe des liberticides barbus ne peut laisser indifférents ceux pour lesquels la liberté, quelle que soit la forme sous laquelle elle s’exprime, est une valeur absolue qui mérite tous les combats. Merci au jury de la Berlinale d’avoir couronné d’un ours d’or ce cinéaste iranien privé de faire des films, de sortir de son pays, de s’entretenir avec des journalistes sous peine d’un emprisonnement de 20 ans. Son crime ? Avoir soutenu des opposants au régime insensé de Mahmoud Ahmadinejad. Mais il serait réducteur d’imaginer que cette récompense est seulement politique. Elle reconnait aussi les grandes qualités d’un film tourné dans des conditions invraisemblables par un cinéaste de talent. Avec astuce, ironie et courage Jafar Panahi, pour contourner l’interdiction qui le frappe, a imaginé de poser trois petites caméras dans un taxi dont il s’improvise le chauffeur. Puisqu’il est privé de tourner en ville c’est donc la ville qui va entrer dans son petit habitacle.
A l’instar d’Abbas Kiarostami, dont il fut l’assistant, Panahi utilise le même dispositif que dans Ten (2002) mais de manière antithétique, dans une version drôle et ironique. Comme son ainé il aime le documentaire fiction dans lequel la réalité et la fiction se mêlent habilement. Ceux qui entrent dans son taxi sont-ils des amis acteurs, des vrais passants ? On pourrait hésiter. C’est la première hypothèse la plus juste. Cela ajoute un grain de sel supplémentaire à ce qui se présente, sous couvert de bonhommie souriante, et presque indulgente, comme une critique féroce du régime et de la situation qui lui est imposée. Au travers de dialogues savoureux, notamment entre ses premiers « clients » une institutrice contre la peine de mort et un autre passager farouchement pour mais qui avouera être un voleur à la tir, au travers de scènes cocasses comme celle du blessé de la route qui veut dicter son testament en se faisant filmer par un téléphone portable afin qu’il ne reste pas à sa femme « que des dindes » ou celle de ces deux sœurs qui transportent des poissons rouges qu’elles doivent jeter à midi pile dans le fleuve, il en va de leur vie, Panahi nous brosse l’image d’une société iranienne disparate, diverse, inventive, loin de celle que veulent formater les mollahs.
Mais de plus au travers de deux personnages majeurs du film, Panahi ne se prive pas de dresser un réquisitoire mordant en nous montrant l’hypocrisie et l’absurdité des règles imposées par le régime. Sa nièce d’abord, petite bonne femme au caractère bien trempé, superbe actrice en herbe, qui veut tourner un film et énonce les conditions que lui a donné sa maîtresse pour que le film soit « diffusable » : « Respect du voile et de la décence islamique, aucun contact entre hommes et femmes, pas de noirceur, pas de violence, pas de cravate pour les personnages positifs, pas de prénom persan pour les personnages positifs. Préférer les prénoms sacrés des prophètes. » L’apparition de son avocate ensuite, la dame aux fleurs, Nasrin Sotoudeh, rayée du barreau pour avoir défendu des opposants et une jeune fille qui voulait assister à un match de volley réservé aux hommes (cf Hors jeu. Les clins d’œil à sa filmographie sont nombreux). Son optimisme et sa vitalité sont communicatifs. Un moment d’une grande émotion lorsqu’elle nous offre une rose, à nous spectateurs, nous rendant complètement complices de cette partie de cache-cache.
À la fin du film pas de générique mais un court texte de Panahi qui noue la gorge : « Le ministère de l’Orientation islamique valide les génériques des films distribuables. A mon grand regret ce film n’a donc pas de générique. J’exprime ma gratitude à tous ceux qui m’ont soutenu. Sans leur précieuse collaboration, ce film n’aurait pas vu le jour. »
On peut espérer que l’évolution de la situation en Iran profite à Jafar Panahi. Pour l’heure aucune sanction n’a été requise contre lui. On a envie d’applaudir devant ce qui n’est pas un simple pied de nez facétieux mais un acte de pur courage qui force le respect.