Auteur : Philippe Van Leeuw est un réalisateur, scénariste et directeur de la photographie belge, né à Bruxelles en 1954. Il vit actuellement à Paris. Il a suivi les cours de la section « Images » de l’INSAS à Bruxelles et par la suite de l’American Film Institute à Los Angeles jusqu’en 1983. De retour en Belgique, il a collaboré en tant que directeur de la photographie à nombre de films publicitaires, institutionnels ou d’entreprises. C’est ainsi qu’il a rencontré Bruno Dumont avec lequel il travaillera régulièrement. En 2008, il réalise son premier long métrage : Le Jour où Dieu est parti en voyage, film qui raconte le parcours d’une jeune femme Tutsi pendant le génocide rwandais de 1994 et qui a reçu le prix Kutxa-New Directors au Festival de Saint-Sébastien 2009. Une famille syrienne, réalisé en 2017, a obtenu le Valois du public et le Prix de la mise en scène au Festival du film francophone d’Angoulême.
Résumé : Nous sommes dans la Syrie en guerre. Une famille est coincée et cachée dans un appartement d’un immeuble vide de ses autres habitants. Par solidarité elle a accueilli une voisine avec son petit bébé et son mari. Ce dernier doit partir le matin pour leur trouver un passage clandestin. La vie au quotidien s’organise difficilement entre les pénuries, les dangers des bombardements et des tirs des snipers. C’est le récit d’une journée, avec son quotidien difficile et les drames liés à la guerre.
Analyse : Ce deuxième film de Philippe Van Leeuw est un petit bijou. Un film dramatique, poignant, angoissant, oppressant, qui diffuse à tout instant la peur absolue, celle de la mort sans aucune maîtrise sur les évènements. Le réalisateur a réussi un tour de force qui consiste à faire un film sur la guerre sans aucune image de guerre. Mais elle est omniprésente, en hors-champ, par une bande son parfois assourdissante et terrifiante pour ces êtres barricadés dans le seul appartement habité de l’immeuble touché par les bombes et en proie aux pillards et aux crapules qui se nourrissent du malheur des autres. La force du film tient au choix du réalisateur, s’intéresser à l’individu, à l’intime, à l’humain. Il ne nomme jamais l’ennemi, ne nous indique jamais le lieu (Damas ? Alep ?), ne nous donne jamais aucune indication politique sur les causes ou le déroulement de la guerre. Seule la précision que la famille est syrienne nous permet de situer le conflit. Ceci donne à son œuvre une portée universelle car ce sont les conséquences de toutes les guerres sur les civils, otages de conflits qui les dépassent, qu’il nous décrit. Les mêmes désespérances, les mêmes peurs, les mêmes drames, les mêmes difficultés à vivre le quotidien sous les bombes et les tirs des snipers.
Dans ce théâtre de guerre Van Leeuw filme un autre théâtre, l’appartement que l’on ne quittera pratiquement pas 1 h 30 durant, qui se déroule sur une seule journée : unité de lieu, unité de temps. Par la caméra le plus souvent à l’épaule on suit les déplacements des occupants dans de longs plans séquences qui nous font prendre la mesure du lieu, pourtant vaste mais si étroit pour ceux qui y sont confinés. Du grand cinéma car le réalisateur sans nous montrer de scènes militaires, nous fait partager l’insupportable, l’indicible de la guerre : entre ces murs l’angoisse palpable, l’effroi du moindre bruit dans l’immeuble, la panique des bruits extérieurs qui se font trop présents. Dans ce contexte les gestes du quotidien (se laver, boire, manger, dormir) prennent un relief particulier, mobilisent constamment toutes les énergies car tout est difficulté et il faut résoudre chaque problème pour aborder le suivant, sans savoir ce que réservent les prochains instants.
Dans cette famille où les hommes en âge de se battre sont partis, Oum Yazan est une mère courage, le pilier de la famille, dure, directive, compatissante, exemplaire, mais qui sera amenée à faire des choix moralement complexes pour sauver sa famille. La bibliothèque pleine de livres, l’ameublement cossu, la liberté d’habillement des femmes, montrent le choix du réalisateur d’une famille non pas du peuple mais plutôt d’une bonne bourgeoisie aisée. Malgré le contexte, le grand père s’occupe d’ailleurs de faire faire ses devoirs scolaires à son petit fils (mais pas aux deux adolescentes !). C’est sur le regard triste, nostalgique et désabusé de ce vieux monsieur au visage raviné regardant l’extérieur que commence et se termine le film. Lui qui dira à sa belle fille : « Laisse le monde dehors, il ne vaut plus rien ».
La force du film tient également à une mise en scène sobre, dépouillée, sans une image de trop, sans fioriture ni pathos. La scène du viol de la voisine par exemple n’est que partiellement filmée, mais surtout entendue, hors champ, ce qui la rend plus effrayante encore. (Manière de nous rappeler au passage que le viol est une arme de guerre). Elle tient aussi au choix des acteurs : magnifique Hiam Abbass dans le rôle d’Oum Yazan, Juliette Navis, dans le rôle de la servante, qu’on a vu dans plusieurs films français comme Hippocrate ou Main courante, et Diamand Bou Abboud, au jeu subtil, aux regards profonds et d’une intensité bouleversante, belle, et tellement émouvante après le viol, telle une madone de Botticelli, sacrifiée et douloureuse.