FAUTE D’AMOUR

Auteur : Né en 1964 en Sibérie, Andrey Zviaguintsev est présenté comme le chef de file du cinéma russe contemporain. Il commence sa carrière comme acteur. Il quitte sa Sibérie natale à 22 ans pour s’installer à Moscou. Là, le jeune homme intègre une prestigieuse école de comédie, et monte des pièces expérimentales. Au début des années 90, Zviaguintsev découvre L’Avventura, son premier grand choc cinématographique, puis les films d’Orson Welles, Luchino Visconti ou Eric Rohmer. Il se passionne alors pour le Septième art, tout en poursuivant son activité de comédien sur les planches. Ses premières réalisations sont des spots publicitaires puis il réalise des longs métrages. Il se révèle au grand public dès son premier, Le Retour, récompensé par le Lion d’or de la Mostra de Venise 2003. Avec Le Bannissement il accède à la sélection officielle du Festival de Cannes 2007 où son comédien Konstantin Lavronenko, déjà présent dans Le Retour, obtient le Prix d’interprétation masculine. Son drame Elena est récompensé par le Prix spécial du jury de la section Un certain regard au Festival de Cannes en 2012. Il revient en compétition officielle à Cannes en 2014 avec Leviathan qui reçoit le Prix du scénario. Lors du Festival de Cannes 2017 son film Faute d’amour remporte le Prix du jury.

Résumé : Un jeune couple est sur le point de divorcer et se dispute sans cesse. Ils ont préparé leur avenir respectif. Lui est en couple avec une jeune femme déjà enceinte ; elle, fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser. Aucun des deux ne semble se préoccuper de leur fils de 12 ans jusqu’à ce qu’il disparaisse.

Analyse : Zviaguintsev ne filme jamais des situations heureuses et apaisées. Faute d’amour est un drame familial absolu qui est dans le droit fil de sa filmographie. Son film commence par de magnifiques images d’arbres, comme il les aime et qu’on a déjà vu dans Elena notamment. Il aime la nature et nous fait partager son amour. Des images lentes, somptueuses, de l’automne, de l’hiver avec la neige qui nimbe ces arbres nus qui semblent sans vie. On a l’impression qu’il prépare le spectateur à ce qui va suivre sans vouloir l’immerger immédiatement dans la tristesse et le drame. Puis au travers de la fenêtre d’un immeuble on entre au cœur du sujet. Une mère qui houspille son garçon de 12 ans qui fait ses devoirs dans sa chambre car des visiteurs vont arriver. Les parents vont divorcer, ils vendent. Ce jeune couple, Boris et Zhenya (magnifique Maryana Spivak) se déchire avec une violence inouïe et une haine à fleur de peau. Aucun des deux ne veut garder l’enfant ; ils veulent s’en débarrasser comme d’un paquet trop encombrant. La scène de ménage se termine sur un des plans les plus bouleversants du film, lorsque ce petit garçon qui a tout entendu derrière une porte hurle en silence son désespoir, le visage ravagé de larmes. Il part à l’école et ne reviendra plus. « C’est l’histoire d’un enfant qui commence à exister aux yeux de ses parents en disparaissant » nous dit le réalisateur. C’est l’histoire universelle et désespérante d’une certaine nature humaine, de l’égoïsme forcené de deux êtres qui ne pensent qu’à leur propre bonheur. C’est l’histoire universelle de la faillite du couple, du désamour qui engendre des catastrophes dont les enfants sont trop souvent les victimes. C’est l’histoire, plus particulière, de l’échec d’une société russe qui en épousant la modernité a anéanti ses propres valeurs et a engendré des êtres vulgaires, minables, d’une vacuité sidérante, enfermés aveuglement dans la poursuite de la réalisation de leurs désirs matérialistes ; d’une société où la haine semble être la seule valeur qui se transmette de génération en génération ; mais d’une société où les anciennes traditions de l’orthodoxie intégriste permettent à un chef d’entreprise d’interdire le divorce à ses employés. Quel pessimisme ! Ce n’est pas la première fois que Zviagintsev fait ce constat amer et féroce sur la Russie et on peut s’étonner qu’il passe les mailles d’une censure pourtant vigilante. D’autant que la critique s’adresse également aux autorités incapables d’assumer leur mission vis-à-vis des citoyens obligés de recourir à des bénévoles pour assurer des missions de police. Mais il ne se répète pas pour autant et a l’intelligence de ne pas tomber dans la caricature. Le scénario particulièrement habile entraine le spectateur vers des pistes incertaines à l’issue imprévisible. Il sait doser la tension en mêlant à son récit des personnages tout à fait secondaires mais qui occupent quelques instants l’écran, comme pour nous distraire, nous laisser respirer.

Grâce à une magnifique mise en scène le réalisateur nous offre un film fort, bouleversant, qui touche profondément et ne peut laisser indifférent.

1 Comments

  1. Je dois dire que j’aurais du mal à venir ajouter mon rameau de laurier personnel à la couronne auréolant ce film. Je sais bien que la Russie est le pays de la Sibérie. Mais pourquoi faut-il que ses cinéastes fassent des films qui sont aussi interminables à traverser ? Comme tout cela est insupportablement lourd, long, poussif, comme tiré par une locomotive ahanant au charbon pendant des steppes et des steppes !
    Dans les années 60 du siècle dernier, les fondateurs de la Nouvelle Vague s‘étaient déchaînés contre les Delannoy, Autan-Lara, Allégret et autres Decoin, tous unis dans une même « qualité française » et faisant des films caractérisés par un même académisme, un même ronronnement scénaristique, une même utilisation de ressorts dramatiques à l’effet éprouvé. Curieusement, je dirais que Andreï Zviaguintsev dans Faute d’amour (comme d’ailleurs, tout récemment, Sergei Loznitsa dans Une femme douce) tombe dans les mêmes défauts et s’enlise à son tour dans une sorte de « qualité russe » dont l’originalité primitive se dissout aujourd’hui dans le confort de la photocopie d’un modèle « qui marche ». Avec comme conséquences une banalité gonflée à l’esbroufe de l’esthétique et des personnages télécommandés qui suivent le parcours fléché d’un drame dont les sinuosités sont fixées et connues à l’avance comme celles d’une descente olympique à skis (est on une seule fois véritablement surpris dans ce film ?)
    Jean Lods

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