Auteur : Anne Fontaine, actrice, scénariste, réalisatrice de 56 ans. Auteure notamment de Les histoires d’amour finissent mal … en général, Prix Jean Vigo (1993), Nettoyage à sec (1997), Nathalie…(2003), Entre ses mains (2005), Coco avant Chanel (2009), Gemma Bovery (2014).
Résumé : Pologne, décembre 1945. Mathilde Beaulieu, jeune infirmière est affectée dans un centre temporaire de la Croix-Rouge française pour secourir les soldats français ; elle voit arriver une religieuse affolée qui semble lui demander de l’aide, qu’elle ne comprend pas et qu’elle renvoie. Quelques minutes plus tard à travers la vitre givrée elle voit la religieuse agenouillée dans la neige priant dans le froid. Elle décide de l’aider et part avec elle jusqu’au couvent voisin où elle découvre une sœur sur le point d’accoucher. Elle apprend que sept autres sœurs sont dans ce cas. Elles ont toutes été violées à plusieurs reprises par les soldats russes. Elle décide de les aider secrètement.
Analyse : Avec son nouveau film Anne Fontaine nous offre une œuvre assez différente de ses précédentes réalisations. Ici pas de sensualité ou de plaisir des sens ; mais avec toujours le même fil directeur, la transgression, la solidarité, l’attention portée aux relations humaines et aux femmes en particulier. Car au delà du propos factuel et historique c’est un thème grave et longtemps gardé sous silence qu’elle aborde : le viol des femmes comme arme de guerre. Pour ne remonter qu’au siècle dernier, sans parler de la guerre du Rwanda qui de ce point de vue a dépassé tout ce qu’on peut imaginer en horreur et barbarie, l’histoire de la seconde guerre mondiale nous donne des exemples terrifiants : deux millions d’allemandes violées par les soldats russes en 1945. Natalya Gesse, une correspondante de guerre amie de Sakharov, écrivait : « Les soldats russes violaient toute allemande de 8 ans à 80 ans… C’était une armée de violeurs ». En toute impunité. Aucune poursuite pour crime de guerre, aucune sanction, peu de dénonciations. Crimes oubliés. Il est donc salutaire qu’Anne Fontaine ait fait surgir, avec sa sensibilité féminine, cet épisode peu connu de l’histoire des femmes.
Ici le propos est plus complexe encore car il s’agit de religieuses, c’est-à-dire de femmes qui ont fait vœux de chasteté et ont renoncé, pour l’amour d’un dieu, à toutes les joies que peut offrir une vie accomplie de femme et de mère. « Un sujet comme celui-là exigeait un traitement subtil et sensible » dit Anne Fontaine. Pari réussi car ce film ne manque ni de subtilité ni de sensibilité.
Dans la mise en scène tout d’abord. Des cadrages serrés, au plus près des personnages, le plus souvent dans cet univers clos du couvent, qui donnent une grande densité émotionnelle à certaines scènes. La souffrance, la honte et le sentiment de ces femmes déchirées entre leur vœux, le refus d’une naissance issue d’un viol et l’amour pour ce petit être démuni et innocent fruit de leur chair, est parfaitement perceptible sans que la caméra, à aucun moment, n’appuie trop le propos.
Dans le choix des interprètes également. Ce sujet lourd est porté par de magnifiques actrices. Lou Delaâge, émouvante dans son premier rôle de femme adulte, Agata Buzek, sœur Maria au jeu d’une grande intensité dont le visage nous laisse parfois deviner les doutes de sa foi. La mère supérieure Agata Kulesza, sévère, implacable dans la rigidité de sa foi et de sa fonction, et dont l’aveuglement va jusqu’à commettre l’impensable. Pourtant Anne Fontaine n’en fait pas un personnage manichéen. On sent chez elle, malgré tout, à la fin de sa vie, une certaine humanité. Tous ces interprètes déploient leur jeu avec beaucoup de sobriété. Jusqu’à Vincent Macaigne, acteur souvent exaspérant qui, ici, est tout en nuances.
Enfin les images et les couleurs sont magnifiquement adaptées au sujet. Les décors très épurés, les vues du couvent et de la nature noire sous la neige blanche baignés d’une lumière douce rendent l’atmosphère inquiétante et hostile.
Ce film devrait être dédié à toutes les femmes victimes oubliées des guerres.