AVIGNON 15 juillet

THYESTE de Sénèque, mis en scène par Thomas Joly

Thomas Joly, né en 1982 à Rouen, est un acteur, metteur en scène de théâtre et d’opéra. Tout en poursuivant une carrière d’acteur il crée ses premières pièces à partir de 2004. Il fonde en 2006 en Normandie La Piccola Familia et monte de nombreuses mises en scène. Il a été révélé au Festival d’Avignon en 2014 avec une pièce fleuve, Henri VI en 2014, un marathon de 18 heures. En 2016 il présente deux nouvelles créations, Le Radeau de la méduse et Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse, spectacle sous forme de feuilleton quotidien et véritable chroniques du Festival d’Avignon de 1947 à… 2086. Il met en scène son premier opéra, Eliogabalo, de Cavali, à l’Opéra de Paris. En 2017, il signe la mise en scène de Fantasio, d’Offenbach, à l’Opéra-Comique.

Résumé : la dynastie qui règne sur Argos à Mycène, a été fondée par Tantale. Atrée et Thyeste, deux jumeaux se disputent la succession de leur grand-père. Jupiter avait établi que le roi serait celui qui aurait dans ses étables un bélier à toison d’or. Atrée serait monté sur le trône si Thyeste n’avait séduit la femme d’Atrée afin qu’elle volât pour lui le bélier dans les étables de son mari. Jupiter, furieux en voyant Thyeste l’emporter, ordonna au soleil de faire demi-tour afin de dénoncer par ce signe le tricheur. Atrée reprend le pouvoir et exile son frère. Mais il médite sa vengeance. Faisant semblant de se réconcilier avec Thyeste, il l’invite à un diner où il lui propose de partager le pouvoir avec lui, et sert en festin à celui qui est son frère la chair de ses enfants. Ce faisant il ne fait que perpétuer une tradition familiale de cannibalisme. Son grand-père, Tantale, avait offert aux dieux en banquet la chair de son fils Pélops ! La fameuse dynastie des Atrides.

Thomas Jolly a choisi de représenter la plus sauvage, la plus sombre des tragédies de Sénèque, dans une lumineuse traduction de la latiniste Florence Dupont. Dès l’entrée dans la cour d’honneur le spectateur est saisi par un décor qui laisse présager le tragique. D’un coté de cette magnifique scène de la Cour d’honneur du Palais des papes, une tête géante renversée à la Brancusi, aux yeux vides et à la bouche ouverte qui semble crier ; de l’autre une main monumentale ligotée avec ses deux doigts dirigés vers nous, le public, comme une menace. Un homme de blanc vêtu aux yeux bandés de rouge escalade la tête au sommet de laquelle il se mettra aux percussions en dirigeant une musique violente, démesurée, sorte d’opéra rock qui ponctuera le propos toute la pièce durant. Dès le prologue une furie, magistralement campée par la voix caverneuse et effrayante d’Annie Mercier vient annoncer ce qui va se passer et promettre, accompagnée d’un chœur de jeunes filles aux robes blanches et aux masques terribles maculés de sang, tous les maux, les vices, les supplices dont nous sommes capables.

Atrée, incarné par Thomas Jolly lui-même, apparaît tout de jaune vêtu, avec une couronne en plexiglass, maigre, fragile, monstre rongé par sa vengeance et sa folie sanglante. « Je veux la vengeance pure » déclame le cœur. L’acteur et metteur en scène a opté pour une représentation résolument moderne, en utilisant des effets de mise en scène. La lumière tout d’abord qui, jusqu’à ce que le soleil fasse demi tour, jaillit du sol, des fenêtres du Palais qui s’allument et s’éteignent au rythme de la tragédie. La fumée également et des confettis de papillons noirs qui envahissent la cour, poussés par le vent. Mais surtout la musique de Clément Mirguet, violente, électronique, qui résonne sur les parois de cette cour. Une des plus belles scènes est le moment où une slameuse, Émilie Frémont, qui incarne le Chœur des tragédies classiques dont Jolly s’est courageusement éloigné, rythme le texte de Sénèque accompagnée des voix célestes d’enfants qui représentent les damnés de demain. La diction des chanteurs et des acteurs est parfaite. Une mention particulière pour Damien Avice dans le rôle titre et Lamia Regragui qui longuement nous annonce une deuxième fois ce qui va arriver. C’est éblouissant de modernité et de force. Il est toutefois dommage que Thomas Jolly n’ait pas profité de l’occasion pour « moderniser » le texte de Sénèque, c’est-à-dire le couper de certaines redondances qui alourdissent parfois la représentation.

Cette pièce, très politique et actuelle, nous montre une humanité capable de s’entredéchirer, de tuer ses frères. « Avons-nous perdu le Soleil ? Ou l’avons-nous chassé  ?  » se demande le Chœur à la fin de la pièce. Avec une note d’espoir toutefois. Sénèque depuis le Ier siècle après J.-C. nous dit la nécessité d’un « traité d’indulgence mutuelle ».

 

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