Auteurs :Nicolas Champeaux est un reporteur à RFI. Il est spécialisé dans le service Afrique et connait bien l’Afrique du Sud. Il est chargé de la chronique journalière Today in France ainsi que deNetwork Europe. Il collabore également avec la radio France Culture. Gilles Porte est essentiellement un directeur de la photographie. Il est également réalisateur, scénariste et photographe. En 2003, il coréalise avec Yolande Moreau son premier long métrage Quand la mer monte…, pour lequel ils reçoivent en 2005 le César et le prix Louis-Delluc comme meilleur premier film. Le Procès contre Mandela et les autres est son quatrième film en tant que réalisateur.
Résumé : Ce documentaire retrace le procès historique, de 1963 à 1964, de l’État d’Afrique du Sud contre Nelson Mandela. Sur le banc des accusés, huit de ses camarades de lutte risquaient aussi la peine de mort. Cinq Noirs (Walter Sisulu, Andrew Mlangeni, Govan Mbeki, Raymon Mhlaba, Elias Motsoaledi) deux Blancs (Denis Goldberg, Lionel Bernstein), et un Indien, Ahmed Kathrada. Face à un procureur zélé, ils décident ensemble de transformer leur procès en tribune contre l’apartheid.
Analyse : Le procès intenté en 1963 contre Nelson Mandela et les autres est un des plus grands procès du XXème siècle pour les droits humains. En 1948 en Afrique du Sud le parti National et la Parti Afrikaners, qui ont soutenu Hitler pendant la guerre, gagnent les élections. Une terrible politique d’apartheid se met alors en place renforçant la domination de la race blanche sur les noirs. La population est divisée en quatre catégories : les Blancs, les Métis, les Indiens et les Noirs. Les trois dernières catégories sont discriminées, ont des droits limités, s’entassent dans des ghettos urbains où ils sont confinés dans la misère et la précarité. Tout contact avec la population blanche est interdit dont les mariages mixtes. Pourtant la population non blanche est majoritaire. S’organise alors un mouvement anti-apartheid qui lance une campagne de désobéissance ; 8000 personnes sont arrêtées. Après les massacres de Sharpeville en 1960, l’ANC (Congrès national africain fondé en 1912 pour la défense de la population noire) crée le MK (Umkhonto we Sizwe), branche armée qui en collaboration avec les communistes agit contre le régime en place. Nelson Mandela en assure le Haut commandement. Plus de 2OO attentats, qui prennent surtout la forme de sabotages qui évitent les morts humaines, sont commis. Lors d’une réunion dans une ferme de Rivonia, banlieue de Johannesburg, où était caché leur QG, Nelson Mandela et huit de ses compagnons sont arrêtés en octobre 1963.
De ce procès historique aune image n’a été prise. Seules 256 heures d’enregistrement sur des vinyles analogiques ont dormi pendant des décennies. Un français, Henri Chamoux, a inventé un appareil, l’archéophone, grâce auquel il a réussi à numériser ces enregistrements. De ce matériel désormais accessible, Nicolas Champeaux et Gilles Porte ont tiré ce magnifique documentaire. L’absence d’image a été remplacée par des images animées à partir des dessins faits par la femme d’un des accusés, réalisées par l’illustrateur Oerd Van Cuijlenborg, subtil mélange de figuratif et d’abstraction, en noir et blanc très symbolique, où notamment la figure du terrible procureur Percy Yutar apparaît comme une créature fantastique, effrayante, sorte d’oiseau de proie qui plane sur le tribunal. Le film s’ouvre sur un écran noir et la retranscription sonore du procès. Mais au-delà de la voix émouvante des accusés, et notamment du fameux discours de Nelson Mandela, l’émotion nait surtout de l’interview des trois derniers survivants de ce procès qui réagissent en écoutant les minutes du procès faisant resurgir des souvenirs intimes, comme ceux de Denis Goldberg qui, au bord des larmes, se rappelle la fierté de sa mère : «Elle ne me voyait plus comme un fils, mais comme un camarade » ;de la présence de leurs deux avocats ; également des membres de la famille des accusés, de Winnie Mandela, décédée entre-temps, du propre fils du procureur qui avec beaucoup d’émotion tente d’expliquer, sans la justifier, l’attitude de son père, pourtant juif dont la famille avait fui les pogroms en Lituanie.
Ce documentaire a le mérite de mettre la lumière sur les autres inculpés. La dignité, l’humanité de ces hommes forcent le respect. Leur ligne de défense a été de plaider non coupable et d’accuser l’État ségrégationniste de les avoir humiliés et poussés à commettre ces actes d’opposition nécessaire. Leur procès se transforme en tribune contre l’apartheid, ce qui leur a probablement sauvé la vie. Avec courage ils décident, en cas de peine capitale, de ne pas faire appel pour que leur mort devienne le symbole de leur lutte et un exemple pour ceux qui doivent continuer à se battre.
Ce documentaire puissant et souvent bouleversant rend hommage à ces hommes qui se sont battus pour la dignité, la justice, la liberté et l’égalité des êtres humains.