Autrices : Zabou Breitman, née le 30 octobre 1959, est une actrice, réalisatrice, metteuse en scène française. Elle fait une première apparition en tant que comédienne, toute petite fille en 1965, dans un épisode de Thierry la Fronde, série écrite par son père pour la télévision dans laquelle jouait sa mère. Elle suit ensuite le cours Simon. Après avoir joué quelques petits rôles et avoir réalisé un tube, Adélaïde, elle atteint la notoriété en 1962 en jouant dans La crise de Colline Serreau et dans Cuisine et dépendance de Philippe Muyl. En 2001 elle passe à la réalisation avec Se souvenir des belles choses, très récompensé aux Césars. Elle passe au théâtre en réalisant en 2003, la pièce de Roland Topor, L’hiver sous la table. Elle poursuit depuis une brillante carrière de comédienne, d’actrice et de metteuse en scène.
Eléa Gobbé-Mévellec née en 1985 est une animatrice, graphiste et réalisatrice française. Formée à l’école du dessin, on lui doit, notamment, les dessins de Ernest et Célestine, Le chat du rabbin, Le jour des corneilles. Les hirondelles de Kaboul, qu’elle a coréalisé avec Zabou Breitman a obtenu le Valois de la musique de film au Festival francophone d’Angoulême, et le prix de la Fondation Gan à la diffusion au Festival du film d’animation d’Annecy en 2018.
Résumé : Été 1998, Kaboul en ruines est occupée par les talibans qui règnent en maître et ont installé un régime de terreur. Le film suit le destin de plusieurs personnages. Atiq, avec sa femme malade, ancien moudjahid estropié en combattant les russes, reconverti en gardien de prison mais qui ne cautionne pas le régime des talibans. Leurs voisins, Mohsen et Zunaira sont jeunes et s’aiment profondément. Ils vivent leur amour en cachette, s’octroient non sans risques quelques moments de vraie liberté et veulent croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies.
Analyse : Les hirondelles de Kaboul est l’adaptation du best-seller d’un auteur algérien, Yasmina Khadra (nom de plume de Mohammed Moulessehoul, composé à partir des prénoms de son épouse), paru en 2002. C’est un pamphlet virulent dénonçant l’obscurantisme des talibans en Afghanistan, la terreur qu’ils font régner et la situation qu’ils réservent aux femmes. L’adaptation qu’en ont faite, à quatre mains, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec est une totale réussite à la fois cinématographique et graphique, ceci essentiellement pour deux raisons. La première est le choix des réalisatrices d’avoir réalisé un film d’animation, choix particulièrement judicieux car c’était sûrement la meilleure façon de montrer autant de violence, tout en défiant malicieusement les islamistes qui interdisent la représentation de l’être humain. Le filtre des dessins animés permet de traduire l’horreur en l’atténuant, en lui conférant un contour plus doux que la réalité, une certaine irréalité, en permettant, comme l’a affirmé Zabou Breitman, de montrer l’in-montrable. Sans que pour autant la barbarie du propos soit occultée ; la terreur règne dans les rues, les hommes sont pendus, la musique est interdite, les femmes, méprisées, confinées dans l’obscurité, ne voyant le monde, comme le montrent certains plans en caméra subjective, qu’à travers la grille de leur tchadri ; elles sont lapidées, ou exécutées lors de grandes manifestations publiques dans les stades. Elles doivent obéissance à leur mari, ne peuvent sortir seules, et comme le dit un des protagonistes, « aucun homme ne doit quoi que ce soit à une femme ». Cette tragique réalité nous est montrée à travers le graphisme sobre et stylisé et les couleurs pastelles de la talentueuse Eléa Gobbé-Mévellec. Les tons bleus délavés, les ocres pâles, tout en délicatesse, apportent légèreté, douceur et poésie, contrastant avec la bande son qui accentue la barbarie de ces hommes qui font crépiter leurs armes à tout propos et sèment la terreur. Tandis que les couleurs deviennent plus vives lorsque sont montrées des scènes nostalgiques du passé, des femmes sortant non voilées du cinéma, l’animation de librairies, de bars, tous ces bâtiments aujourd’hui en ruines.
La seconde raison est que la réalisatrice a pris le parti de faire jouer leur rôle aux acteurs de doublage qu’elle a filmés avant l’intervention de la graphiste qui les a redessinés et animés. De sorte que le dessin épouse les acteurs que l’on reconnaît (Swann Arlaud, Zita Hanrot ou Simon Abkarian), ce qui donne une impression de réalisme et d’intimité avec les personnages.
Ce très beau film est une ode à la liberté, à la résistance, à la femme. Les personnages principaux sont entrés en résistance malgré la peur ; même les personnages secondaires, comme Nazish, un ancien mollah qui ne supporte plus les atrocités commises au nom de l’Islam, ou le bienveillant professeur Arash, qui a créé une école clandestine. En ce sens il est plein d’espoir comme dans la dernière image du film où des femmes pourchassées se dispersent comme une volée d’hirondelles dans le ciel de Kaboul. Sans manichéisme il pose aussi l’intéressante question de la dualité chez l’humain. Même chez des êtres bons et ouverts, comme Mohsen et Atiq, il peut y avoir la tentation du mal quand ils sont soumis à la terreur et à la peur. Attitude universelle de l’être humain qu’il est difficile de juger car il garde toujours sa part d’humanité.