Atlantique

Autrice : Mati Diop, née en 1982 est une actrice et réalisatrice franco-sénégalaise. Elle est la fille d’une mère française et du musicien sénégalais Wasis Diop, ainsi que la nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety. Elle grandit à Paris et, influencée par le travail de son oncle, elle s’oriente vers le cinéma. Elle s’occupe de conceptions sonores et vidéos pour le théâtre et réalise des courts métrages. En 2008, elle joue son premier rôle principal au cinéma dans le film de Claire Denis, 35 rhums. Cette même année, elle présente 1000 soleils au Festival de Cannes, un projet de documentaire sur le film de son oncle Touki Bouki (1973) qui est sorti en 2013 sous le titre Mille soleils. Son documentaire Atlantiques obtient le Tigre du meilleur court-métrage en 2010 lors du festival international du film de Rotterdam. Atlantique est son premier long métrage qui a obtenu à Cannes le Grand Prix. 

Résumé : Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers d’un chantier, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux Souleiman, qui aime Ada, promise à un autre homme. Quelques jours après le départ en mer des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage d’Ada et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Un jeune policier débute une enquête, loin de se douter que les esprits des noyés sont revenus…

Analyse : Le film de Mati Diop est un film mystérieux, fantastique, politique et d’une grande beauté poétique. C’est une œuvre pleine d’originalité pour essentiellement deux raisons :

La première est qu’elle traite de ce thème terrible de l’immigration mais vu du côté de celles et ceux qui restent, point de vue qui n’est jamais abordé dans ce genre de film. « L’odyssée de Pénélope plutôt que celle d’Ulysse », dit la cinéaste. Mais il serait réducteur de le limiter à cet aspect. Ce qui fait la seconde originalité du film est son côté fantastique. Les morts sont omniprésents, ils peuplent le quotidien des vivants et interviennent par des manifestations qui indiquent leur point de vue. En cela ce film est très africain car les morts accompagnent les vivants. À la tombée de la nuit des djinns peuplent les rues et les yeux de certaines femmes deviennent phosphorescents.

Avec habileté Mati Diop a mélangé les genres cinématographiques. Le fantastique, par le retour des disparus on l’a vu, un film policier par l’enquête qui suit l’incendie inexpliqué, cas de « combustion spontanée » comme le dit le policier. C’est également une immersion dans la société sénégalaise, avec les forces politiques, sociales, religieuses qui la contraignent. La description de la misère qui pousse les pauvres gens à l’exil, la corruption des secteurs privés comme public et le sort réservé aux femmes qui n’est guère enviable. Le mariage arrangé qui devient socialement forcé pour la jeune fille qui n’a guère le choix, le test gynécologique pour rassurer le futur époux sur la virginité de sa promise, les conseils prodigués à la future épouse par les autres femmes de la famille : tu dois cajoler ton mari sinon il prendra une deuxième épouse avant même la naissance de ton premier enfant ! Jusqu’au marabout qui y met du sien en affirmant que les démons prennent possession des jeunes filles par leur nombril, quand elles osent le montrer !

Une autre habileté assez remarquable de la cinéaste : le moment important du film qui devrait être une scène essentielle, le départ de Souleiman cause du malheur d’Ada, est traité par une ellipse, ce qui participe à l’atmosphère de mystère.

Le titre est justifié par le fait que l’océan atlantique est un personnage du film avec son calme dans lequel sombre un soleil rougeoyant, qui est un appel pour ceux qui désirent un ailleurs. Également l’océan avec ses vagues furieuses qui laissent présager le pire pour ceux qui l’affrontent. Des images de toute beauté. Un film envoutant.

Un bémol toutefois. Certes c’est un beau film qui méritait une récompense à Cannes, mais à mon avis, pas le Grand Prix car c’est la seconde récompense après la Palme d’Or et d’autres films le méritaient davantage, je pense en particulier à Les Misérables de Ladj Ly qui a obtenu le Prix du jury.

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