Martin Eden

Auteur :Pietro Marcello, né en 1976, est un réalisateur, directeur de la photographie, scénariste italien. Il a une formation aux Beaux-Arts qu’il enseigne en prison. Il a fondé un centre social autogéré à Naples et créé sa propre société de production. Sa filmographie n’est pas très abondante. Il a surtout été remarqué pour son premier long métrage, La Bocca del Lupo (2009), sur un gangster sicilien et les bas-fonds de Gênes. En  2015 il a reçu pour Bella e Perduta le Prix du jury des jeunes au festival de Locarno (voir ma fiche du 10 juin 2016). Son troisième long métrage, Martin Eden, a reçu le prix d’interprétation masculine à la Mostra se Venise pour Luca Martinelli.

Résumé :Martin Eden est un jeune marin napolitain issu d’une classe populaire. Il est sans le sou, beau, curieux et ambitieux. Son destin est de rester pauvre. Un jour il rosse un individu pour sortir d’une embrouille un jeune homme de bonne famille. Pour le remercier, la famille Orsini l’invite à déjeuner. Il fait son entrée dans le grand monde où l’on goûte la musique et la littérature et tombe amoureux fou d’Elena Orsini, d’une grande beauté et très cultivée. Elena n’est pas insensible au charme de Martin qui intelligent, déterminé, plein d’élan, décide d’acquérir l’éducation qu’il n’a pas eue. Il rêve désormais d’appartenir à ce monde et pour en être, décide qu’il sera écrivain…

Analyse : Quelle ambition de vouloir adapter Martin Eden au cinéma, récit de Jacques London inspiré de son propre parcours ! L’entreprise était audacieuse et périlleuse. Pietro Marcello a remarquablement relevé le défi avec une grande intelligence et beaucoup d’habileté. Son adaptation est fidèle tout en étant libre. Il a en effet transposé le récit de la Californie à l’Italie du Sud, Naples notamment, et a n’a donné aucun repère temporel à son récit pour mieux souligner son caractère universel. On est au début du XXème siècle ou dans l’ente deux guerre, ou dans les années 70-80. Qu’importe, c’est un récit de tous les temps, une aventure humaine tragique et intemporelle. C’est un hymne à la liberté, à la création, à la quête du sens de la vie et de la place de l’individu. Martin Eden, ce créateur maudit, dont l’essentiel du film nous montre les difficultés qu’il a à se faire éditer, son indigence et son obstination à croire dans son art, est un homme en colère et révolté. Il ne se situe pas politiquement, entre un socialisme qui victimise le peuple, un libéralisme qu’il fustige et un individualisme ambigüe et libertaire teinté d’anarchisme. C’est un libre penseur. Le réalisateur a la brillante idée d’émailler son film d’images d’archives vraies ou fabriquées, images de la jeunesse de Martin Eden, vieilles photos de ce petit peuple de Naples, travailleur et épuisé, un trois mat ancien qui traverse parfois l’écran et qui finit par sombrer, métaphore de la vie de Martin Eden et de l’Italie actuelle, sinon de notre monde contemporain ; également des extraits de vieux films des révoltes qui ont émaillé la fin du XIXème et le début du XXème en Italie, les mobilisations paysannes, ouvrières, notamment ces images des manifestations du bienno rosso italien (les années rouges des années 1919-1920), particulièrement dans le Nord de l’Italie. Ce faisant, ce réalisateur engagé nous raconte indirectement les luttes sociales qui ont émaillé le siècle dernier et qui font écho à celles que nous vivons aujourd’hui (J’ai toujours cherché à focaliser ma recherche créative sur la vie des plus humbles et des opprimés)

Un autre aspect réjouissant du film est la place de la culture et de la littérature. C’est par elles que Martin Eden s’élève de sa condition sociale. Ce sont elles, semblent nous dire Jack London et Pietro Marcello, qui nous sauvent de l’indigence et de la bêtise. Sous l’influence de la belle Elena, Martin dévore tous les livres, notamment Baudelaire, dans lesquels il trouve la révélation de sa vocation : il veut devenir et sera un écrivain pour échapper à son déterminisme social.

Ce film n’est pas seulement magnifique par le traitement original du sujet, mais aussi par la photographie, soulignée par une image en 16 mm, qui rappelle la formation aux Beaux-Arts du réalisateur. Les images sont nimbées d’un voile de couleur terne qui rappelle son précédent film Bella e Perduta et qui accentue son intemporalité. Par ses anachronismes, ses sautes de temps, son atmosphère surannée, sa sensibilité sociale, ce film n’est pas sans rappeler le cinéma italien des années 60-70, celui des Bertolucci, Bolognini ou même Pasolini. Images accompagnées d’une bande son qui rythme le film et qui par son anachronisme en accentue l’intemporalité. On entend même Joe Dassin !

Enfin je ne peux terminer cette analyse sans souligner l’extraordinaire interprétation de Luca Martinelli. Il épouse avec un souffle et une énergie vitale époustouflants les états d’âme de Martin Eden qui passent de la tendresse, de la révolte, à l’excès confinant à la folie. Par une grande ellipse le réalisateur a l’audace de ne pas filmer l’ascension de Martin Eden, passant des années de galère à l’époque du succès où on le retrouve riche mais complètement perdu, vieilli, la dentition défectueuse, désabusé, désenchanté, qui ne désire plus rien, dégoûté de la commercialisation de la culture, de la vie et de lui-même, en pleine décadence morale et physique.

Un somptueux film philosophique et politique.

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