Auteur : Ladj Ly, né en 1980, est un réalisateur et scénariste français. De parents maliens il a grandi dans la cité de Montfermeil. Passionné de vidéo, il tourne ses premiers films dans son quartier avec ses amis Kim Chapiron, Romain Gavras, JR, issus du collectif Kourtrajmé. Il réalise ses premières vidéos et ses premiers documentaires, 365 jours à Clichy-Montfermeil, tourné après les émeutes de 2005 dans les banlieues, Go Fast Connexion, 365 jours au Mali. Il filme également des arrestations violentes qui inspirent son premier court-métrage, Les Misérables, qui reçoit de nombreuses récompenses notamment au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand et une nomination au César du meilleur court métrage en 2018. Toujours en 2018 il est nominé pour le César du meilleur documentaire avec À voix haute : La Force de la Parole. Il a créé à Montfermeil une école gratuite des métiers du cinéma au sein des Ateliers Médicis, l’école Kourtrajmé. Son premier long métrage Les Misérables a reçu à Cannes 2019 le Prix du jury, et le Prix d’Ornano-Valenti du Festival de Deauvile.
Résumé : Un regard sur une des banlieues les plus défavorisées ; les tensions entre les différents groupes du quartier, une bavure policière, étincelle qui va provoquer une véritable guerre de tranchée entre la police et les jeunes.
Analyse : Un film brûlant, dense, puissant, magnifique, un talent à l’état pur qui n’a été formé à aucune école de cinéma mais à celle de la rue, c’est ce que nous offre Ladj Ly dans son premier long métrage. C’est un autodidacte mais non un inexpérimenté. Caméra en main et en poche, il a filmé les évènements qu’il voyait au quotidien dans sa banlieue. C’est en partant d’un fait divers, une bavure policière à laquelle il a assisté que le réalisateur a construit son film. Un film complexe, avec des premières images paradoxales, la joie communicative de ces gosses de banlieue qui viennent défiler sur les Champs Élysées, enveloppés du drapeau français et chantant la Marseillaise pour fêter la victoire de l’équipe de France en Coupe du monde de foot 2018. Un moment de liesse, de grande fraternité et d’union, miracle accompli par le sport. Mais très vite on passe à une toute autre ambiance. La banlieue vue à travers le regard du policier Stéphane, tout nouvel arrivé, muté de Cherbourg, qui semble écrasé par ce qu’il découvre en compagnie de ses collègues, Gwada, natif du quartier, et Chris impulsif, méprisant et raciste, chef de la BAC. Une visite guidée où l’on aperçoit les différentes communautés qui se côtoient avec méfiance, les caïds, les barbus, les trafiquants, les anciens tolards, où transpire la misère. Et au milieu de ce monde, la très jeune génération, les « microbes », véritables bombes à retardement, qui trainent et ne savent comment tuer le temps. Après cette visite le film accélère, le vol d’un lionceau par un des gosses, Issa qui n’est pas à sa première bêtise, la riposte des gitans, patrons du cirque, la course poursuite avec les policiers, jusqu’à la bavure, un tir de flash Ball à bout portant qui défigure Issa. Un drone guidé par un môme à lunette a filmé la scène. Le film atteint son sommet de violence entre les policiers qui veulent récupérer la vidéo, les gamins qui vont se venger, dans un final époustouflant, paroxystique où Ladj Ly nous montre toute sa virtuosité, son sens aigu de la mise en scène, vive et serrée, du cadrage et son talent à tenir en haleine une heure et quart durant le spectateur qui en sort sonné et plein de désespoir tant la situation semble sans issue, comme dans La Haine, 24 ans auparavant.
Aucun manichéisme dans ce film, aucun parti pris. Tous les protagonistes sont renvoyés dos à dos. Simplement un regard sur une réalité que l’on ne veut pas voir, sur la situation désespérante de ces banlieues qui semblent avoir été abandonnées à elles-mêmes, misérables vivant de petits et grands trafics, d’arrangements divers, d’arbitrages rendus par les plus forts, en proie au prosélytisme des islamistes, et dans lesquels arrivent malgré tout à percer quelques talents, comme celui de Ladj Ly. Le film se termine sur une citation des Misérables de Victor Hugo qu’il situa dans cette ville de Montfermeil : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs.
Magnifique commentaire