Auteur : Renaud Barret est un réalisateur, scénariste, preneur de son français, né en 1970. Il a travaillé comme graphiste avant de réaliser à partir de 2006 plusieurs documentaires, ayant Kinshasa pour cadre, en collaboration avec son ami Florent de La Tullaye, grand reporter photographe. Les plus connus sont Victoire Terminus (2008), Benda Bilili (2006), The Africa Express (2013).
Résumé : « Système K. » comme Kinshasa. Au milieu de l’indescriptible chaos social et politique, une scène contemporaine artistique bouillonnante crée à partir de rien, crie sa colère et rêve de reconnaissance. Malgré le harcèlement de la police et les difficultés personnelles des artistes, le mouvement envahit inexorablement la rue.
Analyse : L’art est souvent une arme de contestation. Il est d’ailleurs par essence contestataire. C’est particulièrement vrai dans un contexte comme celui du Congo Kinshasa, rongé par les guerres civiles, les dictatures, la violence, la misère. Ce film nous montre la vitalité des artistes de rue de Kinshasa qui veulent crier leur liberté, libérer les gestes et les mots, affirmer leur révolte. Ils utilisent les déchets d’une société de consommation à laquelle ils n’ont pas accès, rebuts renvoyés chez eux par un capitalisme impérialiste mondial qui a pillé leurs richesses, en réinventant un art résolument moderne et non lucratif, mais qui garde des attaches avec leur passé. Plusieurs chapitres jalonnent ce film, nous présentant chaque artiste, Frédéric, Tsimba, Béni, Géraldine (une femme seulement, on peut le regretter) et Kill Bill avec lesquels nous suivons une promenade artistique et poétique trépidante, la nuit comme le jour. Ils récupèrent également des machettes, des douilles, traces des guerres civiles qui ont ensanglanté ce pays. De l’art brut dirait Jean Dubuffet. Ils réalisent également ce qu’ils appellent des performances, plastiques et musicales, souvent sidérantes. Des personnages entièrement recouverts d’objets hétéroclites, sorte d’astronautes, de fétiches des temps modernes, qui stationnent aux carrefours, entre les files de voitures, jouent les diables sur des échafaudages, avec des masques très futuristes qui ne sont pas sans rappeler leurs masques traditionnels. D’autre entrent en transe ou se vautrent dans la boue des rues, les ruisseaux fangeux, dans une baignoire d’hémoglobine, sous le regard médusé, amusé ou dégouté des passants, symbole du lien à leur terre. Performances qui ne sont pas seulement la manifestation d’un art extrême ; elles s’accompagnent d’un discours politique radical et lucide, d’un diagnostic sans appel sur une société malade, en proie aux démons liberticides de la dictature et de la corruption.
Barret connait bien la société congolaise qu’il filme pour la cinquième fois (on se souvient notamment de Benda Bilili sur un orchestre de musiciens en fauteuils roulants). Il nous donne un aperçu de ceux que l’on qualifie facilement d’enfants sorciers, de scènes d’exorcisme dans lesquelles le feu joue un rôle essentiel, où l’on voit un homme recouvert de cire chaude de bougie. Le feu qui marque toujours leur esprit d’adultes. Géraldine par exemple, à partir de son expérience d’enfant sorcier, fait des tableaux en utilisant le feu comme un pinceau. Il nous monte également la répression de la police qui embarque sans ménagement des spectateurs de ces performances car la liberté de ton que représente cet art est intolérable pour un régime autoritaire.
Un très beau documentaire, dense et original sur la puissance de la création artistique.