Auteur : Todd Haynes, né en 1961 à Los Angeles, est un réalisateur, scénariste et producteur de films indépendants. En 1987, il réalise Superstar, The Karen Carpenter Story. En 1991, Poison, hommage à Jean Genet, puis Safe (1995) avec Julianne Moore, Velvet Goldmine (1998), Loin du paradis (2002), qui obtient 4 nominations aux Oscars. Il se lance ensuite dans un anti-biopic I’m Not There (2007) sur Bob Dylan. Carol présenté en sélection officielle à Cannes en 2015, obtient le prix d’interprétation féminine pour Rooney Mara. En 2017, Le Musée des Merveilles est également présenté à Cannes. Dark Waters sorti en 2019, est très différent de l’ensemble de sa filmographie.
Résumé : Todd Haynes est parti d’une série d’articles du « New York Times », du livre de Bilott, et du scénario que lui a apporté Mark Ruffalo, pour raconter ce tragique épisode du scandale sanitaire provoqué par le puissant groupe chimique américain DuPont qui fabrique et commercialise depuis 1945 le Téflon. Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques à Cincinnati. Interpellé en 1975 par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du groupe DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va tout risquer avec courage et obstination.
Analyse : Il s’agit d’une histoire vraie qui appartient au passé, qui s’étale de 1975 à 2013, mais qui est d’une sinistre actualité. Les scandales sanitaires peuplent notre quotidien : les médicaments comme le Distilbène aux effets toujours actuels, la Dépakine ou le Mediator, les pesticides comme le chlordécone, ou les désherbants comme le Roundup de la firme Bayer-Monsanto, pour n’en citer que quelques-uns. C’est dire qu’un film sur ce sujet ne peut-être que bienvenu. Mais au-delà de sa nécessité, Dark Waters est un film passionnant car il retrace avec finesse et minutie la lutte d’un obscur avocat de Cincinatti contre un des groupes les plus puissants de la chimie américaine, l’entreprise DuPont de Nemours, créée par un descendant d’une vieille famille française normande, anoblie à Paris en 1783, et établie depuis 1800 aux États-Unis.
L’intérêt du film est double. D’abord il nous montre, dans une mise en scène rigoureuse et efficace, les obstacles auxquels doivent faire face ces lanceurs d’alerte, risquant leur avenir professionnel, familial et personnel. Rob Elliot, incarné par un Mark Ruffalo absolument époustouflant, est la figure autour de laquelle s’articule tout le film. On suit avec passion son combat fait de doutes, de découragement et d’espoirs. Combat d’autant plus remarquable qu’il se heurte, on s’en serait douté, à un cynisme incroyable des dirigeants de la firme qui, Bilott réussit à le prouver, savaient parfaitement la nocivité des produits qu’ils mettaient sur le marché, comme le Téflon qui tapisse les poêles à frire dans les cuisines (composé de PFOA, acide perfluorooctanoïque), molécule hautement cancérigène, indestructible donc éternelle, qui a provoqué de très nombreuses maladies mortelles. Mais au vu des profits financiers colossaux engrangés, il se sont tus. Il y a de quoi frémir lorsque l’on sait maintenant, grâce à ce combat, que cette entreprise a empoisonné la planète entière avec son produit « miracle » : 99 % des habitants de la planète ont aujourd’hui cette molécule dans leur sang ! C’est un film courageux, engagé, particulièrement bien mené, avec rigueur et intelligence, mais sans exagération ni excès. Dès la première scène le ton est donné : des adolescents se baignent la nuit dans une eau que l’on sent menaçante. Des ouvriers arrivent sur une barque, les traitent de « cons » entre eux et continuent, impassiblement, à déverser leur poison dans l’eau. Puis on voit les dégâts, des animaux qui crèvent avec des dents noires, qui deviennent agressifs, une nature mourante, des habitants gravement malades ; dégâts d’autant plus insupportables qu’ils atteignent des enfants qui naissent avec de tragiques malformations.
Avec son chef opérateur, Ed Lachman, Haynes a choisi de nimber les images de couleurs verdâtres, poisseuses ; la nature est dévastée, apocalyptique, une atmosphère noire, glauque accompagne les scènes de la campagne où DuPont a déversé ses produits hautement toxiques. Haynes, marque habilement le passage du temps en utilisant des cartons qui nous montrent comment cette entreprise a essayé de retarder la reconnaissance de sa responsabilité en utilisant tous les procédés dilatoires possibles avec un cynisme décomplexé ; comment elle a noyé Bilott sous une montagne de cartons de documents pour le décourager. Un bon thriller captivant qui tient le spectateur en haleine sans jamais le lasser.
L’autre intérêt du film est qu’il contient un message politique fort. Malgré son propos sombre qui jette une lumière désespérante sur les pratiques d’entreprises capitalistes qui ne pensent qu’à leur profit quitte à écraser le consommateur, foule anonyme victime de leurs agissements qui ne suscite que leur plus profonde indifférence, ce film est plein d’espoir. Il nous montre que dans la bataille du pot de terre contre le pot de fer, ce n’est pas toujours celui qu’on croit qui est le perdant. Magnifique espoir pour l’avenir. Oui des combats contre les très puissants peuvent se gagner, à condition de ne pas baisser les bras, de ne pas se laisser impressionner, d’avoir le courage, la ténacité, l’optimisme, l’obstination qui permettront d’éviter ou d’atténuer le pire. Ne rien lâcher comme ce “I Won’t Back Down” (“Je ne lâcherai rien”) de Tom Petty dans sa version incarnée par Johnny Cash, qui résonne lors du générique de fin, même si des exemples comme celui d’Edouard Snoden ou de Julian Assange risquent d’en décourager plus d’un.