Auteur : François Truffaut (1932-1984) est un scénariste, réalisateur, acteur français. Après une enfance très difficile, il est sauvé de la délinquance par une rencontre fortuite avec André Bazin, un critique de cinéma, qui voit en lui un fort potentiel. Ce dernier décide alors de le prendre sous son aile et lui permet d’intégrer la rédaction des Cahiers du cinéma. Il ne tarde pas à obtenir une certaine notoriété et participe à l’émancipation d’un cinéma d’un nouveau genre. Formé à la réalisation par deux courts métrages, il écrit et réalise à vingt-sept ans son premier long métrage Les Quatre cents coups (1959), inspiré de sa propre enfance, récompensé par le Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes. Ce film participe à l’émergence de la Nouvelle Vague, un mouvement cinématographique qui bouleverse les codes du cinéma. Lancé par ces succès, François Truffaut signe dès l’année suivante son deuxième film, Tirez sur le pianiste. En 1962 il réalise Jules et Jim qui a un gros succès. Sa filmographie est importante et il a obtenu des récompenses internationales. Après Cannes 1959, il obtient l’Oscar du meilleur film étranger pour La nuit américaine (1973), Le César du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et du meilleur film pour Le dernier métro (1980).
Interprètes : Jeanne Moreau (Catherine) ; Oskar Werner (Jules) ; Henri Serre (Jim) ; Marie Dubois (Juliette) ; Vanna Urbino (Gilberte).
Résumé : Paris, dans les années 1910 : Jules, Allemand et Jim, Français, deux amis artistes, sont épris de la même femme, Catherine. C’est Jules qui épouse Catherine. La guerre les sépare. Ils se retrouvent en 1918. Catherine n’aime plus Jules et tombe amoureuse de Jim.
Analyse : Jules et Jim est considéré comme un des films les plus emblématiques de la Nouvelle Vague. Un film résolument moderne à notre regard d’aujourd’hui. Bien avant 1968, Truffaut nous présente l’image d’une femme libérée vivant, hors des conventions sociales et morales, un amour libre dans un triangle amoureux joyeux et décomplexé. Catherine, incarnée par la sublime Jeanne Moreau, est une déesse, un électron libre. Transgressive, elle renverse toutes les conventions, échappe à toute les règles de ce qui serait la bienséance sociale et morale de son époque (on est dans les années 1910). Elle domine les hommes, les soumet à ses désirs. Jules et Jim accourent au moindre de ses ordres. Fantasque, exubérante, elle croque la vie à pleines dents, se travestit en garçon, fume, boit, fréquente les estaminets, a des amants, sans se soucier du regard porté sur elle. Elle est toujours en mouvement, un « tourbillon de la vie », comme elle le chante si justement dans une chanson composée par Serge Rezvani, véritable hymne à l’amour libre, devenue emblématique du film. Une femme terriblement séduisante, fascinante et immuable comme cette statue grecque au sourire énigmatique dont ses deux amants sont tombés amoureux et qu’ils sont allés voir jusqu’en Adriatique.
Toutefois cette liberté peut devenir une malédiction. Comment concilier l’amour dont Catherine est si friande et la liberté ? Certes l’amour est enfermement mais en amour la liberté peut-être le pire des enfermements. Éternelle insatisfaite, sa quête d’absolu conduira Catherine à la mort. Truffaut nous amène doucement vers ce drame en utilisant au début du film un montage vif avec des scènes courtes à l’heure de la légèreté, de l‘insouciance et de la gaité primesautière, tandis que des plans plus longs et un rythme plus lent soulignent, à la fin du film les moments mélancoliques et graves.
Modernité aussi par ce qui est finement suggéré des relations qui unissent Jules et Jim. Une amitié forte, certes, mais dont on devine aisément qu’elle est amoureuse, ce qui éclaire la complaisance de Jules à l’égard de l’amour qui unit Catherine et Jim.
Dans une mise en scène novatrice pour son époque, Truffaut nous donne une adaptation très littéraire du roman éponyme de Henri-Pierre Roché. Il ne traduit pas toute l’œuvre en langage cinématographique mais garde la trame littéraire en utilisant abondamment une voix off qui distille tout au long du film des passages du roman. L’usage de caméra mobile, les fréquents tournages en extérieur, des travellings enlevés servent une mise en scène subtile et raffinée.
Toutefois, mis à part le regard porté sur le personnage de Jeanne Moreau, force est de constater que les autres personnages féminins n’inspirent pas beaucoup de sympathie au réalisateur. Il les présente comme creuses, superficielles et sans grand intérêt. On assiste même à un dialogue sidérant lorsque Jim rencontre dans un bar un ancien ami qui parle de la femme qui est avec lui dans des termes extrêmement méprisants et blessants, d’une rare misogynie, que l‘on ne se permettrait certainement plus aujourd’hui.
Malgré ce bémol, Jules et Jim reste un éblouissant chef d’œuvre sur lequel le temps n’a pas imprimé sa marque.