Autrice : Nora Fingscheidt née en 1983 est une réalisatrice et scénariste allemande. De 2009 à 2017 elle réalise des courts métrages et documentaires. Elle a obtenu en 2017 le prix principal pour son documentaire Without this World au festival de film Max Ophüls. Son premier long métrage, Benni (Systemsprenger), a reçu le prix Alfred Bauer (l’équivalent de l’Ours d’argent) à la Berlinale 2019. Lors de la 70° cérémonie du Deutscher Filmpreis en 2020, Benni a remporté huit prix dont ceux du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario et trois prix d’interprétations.
Interprètes : Helena Zengel (Benni), Albrecht Schuch (Micha, l’éducateur), Gabriela Maria Schmeide (Mme Rafané), Lisa Hagmeistere (la mère de Benni).
Résumé : Portrait déchirant d’une petite fille en mal d’amour maternel qui exprime dans une violence inouïe sa rage et son désespoir.
Analyse : C’est un genre très différent du précédent film que j’ai commenté. Pour son premier long métrage Nora Fingscheidt choisit de raconter l’histoire poignante et angoissante d’une enfance massacrée. Benni, une petite fille de neuf ans crie sa détresse, sa rage, dans des accès de fureur proches de la démence, avec une violence terrifiante envers elle-même et les autres. Souffrance insupportable de ne pas être suffisamment aimée par une mère incapable de la prendre auprès d’elle car malgré son amour pour sa fille, elle n’arrive pas à l’assumer. Benni n’a pourtant qu’un seul besoin qui la guérirait de tous ses maux, être aimé comme toutes les petites filles de son âge par sa mère, c’est-à-dire être reconnue et considérée. Ballottée de foyers en foyers, de familles d’accueil en chambre psychiatrique, elle est incontrôlable. Trop violente pour les centres spécialisés pour jeunes de son âge mais pas suffisamment âgée pour les structures adaptées qui sauraient canaliser ses crises nerveuses. Elle ne parvient pas à maîtriser sa colère malgré les doses de médicaments de plus en plus fortes qui lui sont prescrites lors des retours à l’hôpital. Elle terrorise tout le monde, casse ses jouets et tout ce qu’elle peut autour d’elle, et s’enfonce dans cette spirale de violence qui la conduit à des comportements psychopathiques. Crises particulièrement aigües lorsque quelqu’un, sa mère exceptée, lui touche le visage, traumatisée parce qu’on aurait voulu l’étouffer avec ses couches lorsqu’elle était bébé.
Malgré ce sujet bien sombre le film est plein d’espoir. Nora Fingscheidt nous donne à voir le travail remarquable que mènent les services sociaux auprès de ces enfants en grande difficultés. Benni est très attachante ; elle peut être tendre et joyeuse et ne manque pas d’amour ; celui de la « mère » de la famille d’accueil, celui d’une merveilleuse assistante sociale, Madame Rafané, qui ne désarme jamais, celui surtout de Micha, un jeune éducateur au passé compliqué, qui va tenter avec elle une expérience radicale : trois semaines seul à seule en forêt. Expérience qui se déroule parfaitement sauf que Benni, assoiffée d’amour, va reporter ce manque sur Micha en venant se blottir dans son lit et en lui demandant d’être son père.
La réalisatrice a l’intelligence de ne porter aucun jugement de valeur, sur la mère en particulier. Elle nous montre seulement les ravages que peuvent provoquer chez les enfants les carences affectives, allant jusqu’à les détruire. Son film, d’une grande sensibilité, est juste de ton, sans exagérations ni complaisance, puisé semble-t-il dans sa propre expérience. La caméra est toujours au plus près la petite Benni, captant ses émotions et nous plongeant au plus profond de son chaos intérieur. On doit souligner l’exceptionnelle interprétation de la jeune Helena Zengel qui donne à son personnage des accents de vérité impressionnants.
Ce film n’est pas sans rappeler Mommy de Xavier Dolan auquel la réalisatrice a, de façon évidente, emprunté la fin. Un bémol toutefois. Nora Fingscheidt abuse un peu de certains effets hyperboliques pour traduire le ressenti de Benni, alors que la magnifique interprétation de la jeune actrice se suffit à elle-même.