Auteur : Né en 1982, Amin Sidi-Boumediène est un monteur et réalisateur français. En 2005 il obtient son diplôme en réalisation à Paris au CLCF. Son premier court-métrage, Demain, Alger ? a été sélectionné dans de nombreux festivals à travers le monde. L’Île, son second court-métrage, a gagné le Prix du meilleur film au Festival d’Abu Dhabi. Son troisième court métrage Serial K. (2014), a été projeté aux journées Cinématographiques de Béjaia. Son premier long-métrage, Abou Leila, a été sélectionné à la 58e Semaine de la Critique (2019).
Interprètes : Slimane Benouari (le compagnon) ; Lyes Salem (Lofti).
Résumé : Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leila, un dangereux terroriste. La quête semble absurde dans l’immensité du Sahara. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu de le retrouver. Lotfi, lui, n’a qu’une idée en tête : éloigner S. de la capitale. Cette tentative du voyage est de trouver l’apaisement, mais le chemin conduit à une lente dégradation jusqu’au drame.
Analyse : Pour un premier long métrage on se serait attendu à une œuvre plus académique, même si son auteur a déjà réalisé plusieurs courts métrages. Son film est déroutant, dérangeant ; en brouillant les pistes il nous mène dans des chemins de traverse pour mieux nous perdre, et pose beaucoup plus de questions qu’il n’en résout. C’est du grand art cinématographique qui fait immédiatement penser à Jim Jarmusch. Les critiques ont beaucoup utilisé le terme « labyrinthe ». Effectivement l’auteur nous entraine dans un labyrinthe sans nous donner les cailloux du petit Poucet et nous le suivons bien volontiers. Certes on en sortira à la toute fin quand il nous dévoilera des circonstances qui nous permettront de mieux comprendre, mais bien des interrogations demeurent. Cette apparente confusion est due au fait que Sadi-Boumediène mélange la réalité, le rêve, les visions d’un grave schizophrène et les flash-back. Il mélange aussi les genres passant du polar au fantastique, au thriller, au road movie, de l’horreur d’un crime à celui d’un massacre. C’est par cette palette variée que le réalisateur nous raconte l’histoire de l’Algérie pendant les années noires de la guerre civile et les traumatismes d’une population qui a vécu trop d’horreur, faisant un récit politique qu’on ne peut dissocier d’un terrorisme islamique toujours actuel. Dans cette virée dans le désert à la poursuite folle d’un terroriste, c’est Lotfi qui tient le volant. Son compagnon est apathique, ensommeillé, secoué de cauchemars mais animé d’un esprit de vengeance. C’est lui qui veut trouver Abou Leila dans le désert, tandis que Lofti veille sur lui avec une attention quasi maternelle. On ne tarde pas à comprendre qu’il a suivi la lubie de son compagnon, dont on ne saura jamais le nom, pour le protéger et l’enlever d’un asile psychiatrique. Tout en en nous donnant de somptueuses images du paysage désertique, le cinéaste nous montre également une Algérie devenue paranoïaque. Partout où les deux compagnons s’arrêtent ils suscitent la méfiance des hôteliers et des habitants, la suspicion de la police. Du polar initial, la recherche d’un terroriste, il glisse aux visions d’horreur ou d’une fausse réalité qui assaillent le malade, prenant des enfants pour des moutons, des hommes pour la bête féroce qui l’habite et le dévorera, métaphore de la société algérienne. Une musique angoissante ajoute du mystère à un film qui n’en manque pas. Une grande promenade de cinéma.