Auteur : David Dufresne, né en 1968, est un écrivain, journaliste et réalisateur français. Il est auteur et réalisateur de nombreux web-documentaires et documentaires télévisés qui ont reçu de nombreux prix. Il est également écrivain, souvent primé, comme sur l’affaire de Tarnac, Tarnac, magasin général (2012), New Moon, café de nuit joyeux (2017) ou On ne vit qu’une heure. Une virée avec Jacques Brel (2018). Longtemps reporter pour Libération et membre de l’équipe fondatrice de Mediapart, il s’est consacré aux questions de police et de libertés publiques. Il a traité des violences policières dans son travail de lanceur d’alerte avec ses tweets qui commencent par la même formule « Allo@Place_ Beauvau- c’est pour un signalement », repris par l’ONU et l’Europe-, dans lequel il recense les témoignages de blessés pendant les actes du mouvement des Gilets jaunes, puis dans un roman, Dernière sommation (2019). Un pays qui se tient sage est son premier long métrage pour le grand écran, dans lequel il poursuit son analyse des violences policières. Il a été retenu à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2020 qui n’a pas eu lieu.
Résumé : Alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus violente. Un pays qui se tient sage invite des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat.
Analyse : Le parcours de David Dufresne est bien connu. Il n’a aucune prétention à l’objectivité. Il nous montre ce qu’il faut bien appeler, sauf à se cacher derrière son petit doigt, les violences policières commises pendant les manifestations des Gilets jaunes, qui sont insoutenables, avec deux décès, des blessés graves, éborgnés, infirmes à vie par l’utilisation de flashballs et de balles de défense. Prises sur le vif par des manifestants et des journalistes à l’aide essentiellement de téléphones, certaines images ont déjà beaucoup circulé, comme celles des manifestants matraqués dans un Burger King de la place de l’Étoile, celles de la classe de banlieue où des élèves sont maintenus genoux à terre et mains derrière la tête par des CRS dont un dit avec une ironie insoutenable, « voilà une classe qui se tient sage », dont Dufresne a tiré le titre de son film, ou encore les évènements de la place de la Contrescarpe à l’origine de l’affaire Benalla. Mais l’intérêt de ce film ne s’arrête pas à reproduire ce que l’on a déjà plus ou moins vu, à montrer les violences policières pour ce qu’elles sont. Ce film passionnant et nécessaire élève le débat. D’abord parce qu’en en faisant une image de cinéma, projetée sur grand écran, il change la nature du message ; avec la distance créée il en fait un objet historique et un objet d’étude. Ensuite parce qu’il mène une réflexion très intéressante sur la nature de la violence « légitime ». Partant des analyses de Max Weber sur « La violence légitime de l’État », il réunit philosophes, historiennes, sociologues, avocats, professeure de droit public, policier, manifestants blessés, citoyens, Michel Fost rapporteur spécial de l’ONU. Ils échangent deux par deux, en visionnant les images, sur la notion même de violence d’État, (qu’est-ce qui est légal ? Qu’est-ce qui est légitime ? Qui détient le monopole de la violence ?), sur l’existence d’une police d’État, création vichyssoise, sur la nature du contrat social, sur l’opposition entre liberté et sûreté (le maintien de l’ordre doit-il passer par des violences policières ? et quel ordre défendent-elles ?), sur la place de la police dans une démocratie, ne doit-elle pas rendre des comptes ? Que fait l’IGPN, police des polices ? Alors que le rapporteur de l’ONU l’interroge sur des affaires en cours, force est de constater que depuis des années « on ne voit rien venir ». L’IGPN ne devrait-elle pas relever du Ministère de la Justice comme c’est le cas en Grande Bretagne et non du Ministère de l’Intérieur ? On retient des phrases, des pistes de réflexion comme celle d’Anthony Caillé (secrétaire national CGT Police) « Quand on a fait entrer l’état d’urgence dans la Constitution on a fait un truc terrible » ou celle de Monique Chemillier-Gendreau (professeure de droit public) « La démocratie, c’est le dissensus, pas le consensus », ou encore celle courageuse d’une citoyenne victime de ces violences, « vous n’êtes dignes ni de ma colère, ni de ma haine ». Les intervenants citent Max Weber, Rousseau, Bourdieu, Hannah Arendt. Un débat de très haute tenue intellectuelle, intelligent et très bien construit qui, au-delà du choc des images, nous amène à réfléchir sur leur signification. Un débat qui permet d’atténuer la violence au profit de la réflexion, qui donne aux spectateurs les moyens de se faire leur propre opinion et de voir différemment des situations présentées trop souvent de manière simpliste. Un film à voir, absolument !