Auteur : Pema Tseden, né en 1969 dans une famille de nomades tibétains, est un écrivain, réalisateur, scénariste et producteur chinois d’origine tibétaine. Il a fait des études bilingues tibétain-chinois et se spécialise en littérature tibétaine et en traduction. Il a été instituteur dans une école primaire et à partir de 1991 publie des articles sur la littérature et l’art tibétain. Il mène une carrière littéraire. Il a publié un recueil de nouvelles Neige et Le Medecin. Il décide de se reconvertir dans la cinématographie, et obtient, en 2003, une bourse pour entrer à l’Université de cinéma de Pékin. Avec son film de fin d’études, court métrage, Grassland,en 2004, couronné en Chine et à l’étranger il commence sa carrière cinématographique. Son premier long métrage, Le silence des pierres sacrées (2005) obtient de nombreux prix en Chine. Ses films mettent l’accent sur la préservation de la culture tibétaine. Il acquiert rapidement une notoriété internationale et obtient à deux reprises le Cyclo d’or (c’est la récompense suprême décernée par le jury du Festival international des cinémas d’Asie à Vesoul), pour Tharlo en 2016 et pour Jinpa, une conte tibétain (2018). En 2016, en raison d’un incident mineur avec la police locale sur une affaire de bagages, il a été arrêté et torturé par les autorités chinoises, ce qui provoqua une vague de protestation dans les milieux académiques et artistiques.
Interprètes : Sonam Wangmo (Drolkar) ; Jinpa (Dargye, son mari) ; Yangshik Tso (sa sœur).
Résumé : Au cœur des étendues tibétaines, Drolkar et son mari élèvent des brebis. Ils ont trois fils. En réaction au contrôle des naissances imposé par Pékin, elle s’initie en secret à la contraception, pratique taboue dans cette communauté traditionnelle. Elle se procure au compte-gouttes des préservatifs. Le jour où elle surprend ses enfants en train de jouer dehors avec les « ballons » (préservatifs) volés sous son oreiller, elle sait qu’elle risque une autre grossesse et qu’elle devra affronter le poids de la tradition.
Analyse : On est dans les années 1980, dans la province reculée de l’Amdo, dans le nord-est du secteur tibétain, magnifiquement filmée avec humanité et tendresse par Pema Tseden qui est natif de cette région. Il s’attarde sur les coutumes de ces paysans, éleveurs de brebis, donnant à son film un aspect quasi-documentaire ; le bouc que Dargye va chercher sur sa moto et qu’il met dans l’enclos aux brebis, la façon dont il épouille son cheptel par immersion dans un chenal ou dont il négocie la vente d’une bête à l’abattoir, ou encore les rites funéraires. Mais ce n’est pas là l’intérêt du film. Le véritable sujet du film est la pression qu’exerce sur la population – et les femmes en particulier – la politique de natalité chinoise. Dans ces régions on ne peut avoir plus de trois enfants. Et lorsque Drolkar se retrouve enceinte pour la quatrième fois elle veut avorter en pensant à l’amende qu’ils devront payer. Mais elle se heurte à trois strates de pouvoirs. D’abord le poids des traditions, de la honte qui entoure la sexualité. Celle-ci est visible chez les animaux (les enfants ne doivent toutefois pas regarder) mais taboue chez les humains. La simple vue d’un préservatif, que les petits garnements de Drolkar chapardent pour faire des ballons qu’ils échangent avec les gamins du village, entraine la fureur des voisins qui en viennent aux mains avec son mari. Baudruches de préservatifs exhibées par les enfants qui donnent les premières images du film ; lorsque Dargye poursuit ses fils pour les crever on comprend que c’est un objet honteux qu’il ne faut pas montrer. Drolkar se heurte également à la religion. La pensée bouddhiste suppose la réincarnation des défunts dans le corps des nouveau-nés, ce que contrarient le contrôle des naissances et l’avortement. Or le grand-père vient de mourir et le lama a prédit qu’il serait réincarné dans un membre de la famille. Drolkar se heurte également au patriarcat. Son mari s’oppose violemment à elle, allant jusqu’à la gifler.
Pourtant Drolkar s’émancipe en silence, à sa façon, en faisant fi de tous ces conditionnements, à l’inverse de sa sœur, autre figure féminine du film. Celle-ci est entrée au couvent à la suite d’une déception amoureuse. De sa rencontre avec son ancien amour on comprend qu’elle est tiraillée entre la tentation de renouer avec lui et le renoncement quelle choisit finallement. Plus que Drolkar elle représente un monde qui disparait doucement, rattrapé par une modernité qui gomme les individualités et les différences.