Auteur : Florian Zeller, né en 1979, est un écrivain, scénariste et réalisateur français. Il est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris en 2001. En 2002, il publie un premier roman, Neiges artificielles, qui reçoit le prix de la fondation Hachette. Il travaille également comme maître de conférences associé à Sciences Po. Il publie en 2004 La Fascination du pire qui obtient le Prix Interallié. Entre 2002 et 2012 il publie cinq romans. Il est également l’auteur de nombreuses pièces de théâtre (12) à succès, jouées par de très bons acteurs français, Catherine Hiegel, Pierre Arditi, Fabrice Lucchini, Daniel Auteuil. Sa pièce La Vérité (2011) a été jouée dans une trentaine de pays avec de nombreuses récompenses. En septembre 2012, sa pièce Le Père est jouée par Robert Hirsch et Isabelle Gélinas, pièce qui triomphe pendant trois années sur scène et obtient trois Molière en 2014. Elle est créée à Londres en 2019 et est considérée selon The Times comme « l’une des pièces les plus brillantes de la décennie » et élue « meilleure pièce de l’année » par le journal The Gardian. Elle connait un succès mondial, créée dans plus de 45 pays. En février 2018, pour clore sa trilogie familiale (La Mère, 2010, Le Père, 2012) sa pièce, Le Fils, est créée à la Comédie des Champs-Élysées avec Yvon Attal et Rod Parrot. Avant de s’envoler (2016) est créée à Londres en 2018 (The Height of the Storm) et est élue meilleure pièce de l’année. Elle est jouée à Broadway en 2019, de même que La Mère est jouée la même année à New-York avec Isabelle Huppert et Chris Noth. Son premier film, The Father, est présenté dans plusieurs festivals internationaux et recueille en 2021, deux Oscars : celui du meilleur scénario adapté pour Christopher Hampton et Florian Zeller, et le prix du meilleur acteur pour Anthony Hopkins. Il a obtenu également le prix Goya du meilleur film européen.
Interprètes : Anthony Hopkins (le père) ; Olivia Colman (la fille) ; Mark Gatiss (le mari et un infirmier) ; Rufus Sewell (le mari).
Résumé : The Father raconte l’histoire d’un homme qui perd ses repères les uns après les autres et dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux. C’est également l’histoire d’Anne, sa fille, qui tente de l’accompagner, de le comprendre et d’apporter des solutions à des situations incontrôlables.
Analyse : Quel coup de poing ! On reste assommés par tant d’émotions, de tendresse, de compassion et de rage contenue devant la réalité de cette dégradation injuste de la vieillesse. Une œuvre immense, un premier film magistral, virtuose, intelligemment retors, au montage d’une habileté diabolique par le grand Yorgos Lamprinos (à ne pas confondre, comme je l’ai lu, avec Yorgos Lanthinos, le réalisateur). Les premières images sont trompeuses. Anne marche dans les rues de Londres pour rejoindre un appartement dans lequel se trouve son père. Elle lui annonce qu’elle est amoureuse après un divorce de plusieurs années, qu’elle part vivre à Paris et qu’il faut trouver une solution pour lui qui ne supporte pas les aides à domicile qu’elle lui propose. Situation banale d’un problème familial face à la vieillesse des aînés. Assez rapidement on dérape. Quand Anne revient, ce n’est plus la même. On comprend alors qu’on sera pendant une heure et demie dans la tête de ce vieux monsieur, sympathique et élégant, complètement perdu, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Où est-il ? chez lui ? chez sa fille ? dans un EHPAD ? Dans ce huis clos d’un appartement que l’on quitte rarement le réalisateur, avec beaucoup d’habileté, nous donne quelques indices, comme les cailloux du petit poucet, une cuisine qui n’est pas la même, des tableaux qui changent, des chaises vues dans la salle d’attente du médecin qui se retrouvent dans l’entrée ; peine perdue ! Il manquera toujours une pièce pour reconstituer le puzzle. Comme Anthony et avec lui on est égarés. On regarde avec stupeur le ballet de personnages différents qui peuplent l’appartement, se prétendent le mari d’Anne et disent être chez eux. Quelle heure de la journée est-il donc ? Où est notre montre que nous cherchons constamment et que nous cachons parce que toutes les aides domestiques et même le mari d’Anne nous la volent. Est-on le matin, le soir ? Avec infiniment de subtilité, évitant tous les écueils du genre, le réalisateur entraine le spectateur dans le labyrinthe mental de son personnage. Sa tentation aurait été forte de faire de l’adaptation de la pièce qui a fait son succès un théâtre filmé. Là encore il a montré suffisamment de talent et d’intelligence pour faire une œuvre qui utilise toutes les ressources du cinéma. Usage impressionnant des gros plans qui nous rendent les personnages si familiers, de longs travellings dans les couloirs dos ou face à Anthony, qui se transforment en salle d’attente ou en couloir d’EHPAD au bout desquels la porte d’entrée ouvre sur un placard, qui symbolisent son départ vers un autre monde mental. Avec ce paradoxe incroyable de nous amener, au cinéma, à douter des images que l’on voit à l’écran !
Anthony est un personnage follement attachant. Il est facétieux, drôle, prétend avoir été danseur de claquette (il était ingénieur) et esquisse un numéro devant un jolie femme, qui, dit-il, ressemble à son autre fille qu’il n’a pas vue depuis longtemps et dont on comprend qu’il a oublié la mort. Certes il a ses colères noyées dans une peur panique de l’abandon qui le laisse démuni, comme un enfant tellement touchant et qu’on voudrait consoler. Il semble apaisé quand il écoute, pour notre plus grand bonheur, Norma de Bellini ou l’envoûtante Romance de Nadir dans les Pêcheurs de perles de Bizet, « je crois entendre encore … ». Une dernière image, terrible, bouleversante, lorsque dans un sanglot qui déchire le cœur, Anthony appelle sa maman.
Je ne peux quitter cette analyse sans parler du jeu époustouflant d’Anthony Hopkins, qui à 83 ans semble jouer son propre personnage et de celui d’Olivia Colman (vue dans The Crown) qui avec subtilité montre toute sa tendresse, son dévouement, son découragement, son exaspération face à un vieux père qui lui dit qu’il préférait sa sœur et qui, à certains moments, semble se méfier d’elle. Une moue d’elle, un sourire, un haussement de sourcils, en disent plus longs que bien des dialogues.