Auteur : Paul Thomas Anderson, né en 1970, débute en tant qu’assistant de production sur des téléfilms, des clips vidéo et des émissions de jeux. A 23 ans il réalise son premier court métrage professionnel, Cigarettes and Coffee (1993), très remarqué au festival de Sundance. Son premier long métrage est un polar Hard Eight (1996). Puis il réalise Boogie Nights (1997), plongée dans le cinéma pornographique des années 70-80, qui obtient trois nominations aux Oscars (dont celle du meilleur scénario). Avec Magnolia (Ours d’Or à Berlin en 2000), Anderson change de registre et réalise une œuvre chorale et foisonnante. En 2002, il s’essaie à la comédie romantique déjantée, avec Punch-drunk Love qui remporte le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Il consacre les cinq années suivantes à la production et réalisation de There Will Be Blood (2007), sur un magnat du pétrole au début du XXème, qui reçoit huit nominations aux Oscars. En 2012 The Master remporte le lion d’argent du meilleur réalisateur et la coupe Volpi pour Philip Seymour et Joachim Phoenix. Le cinéaste retrouve la Californie et les années 70 en 2015 avec Inherent Vice. En 2017 Phantom Thread obtient un grand succès critique.
Interprètes : Alana Haim (Alana) ; Cooper Hoffman (Gary); Bradley Cooper (Jon peters); Sean Penn (Jack Holden).
Analyse : Pour son neuvième long métrage dont le titre rappelle l’enseigne d’une ancienne chaîne de disquaires du Sud californien, Paul Thomas Anderson, qui a su tout au long de sa carrière se diversifier, change complètement de style en réalisant une romance légère, d’une infinie délicatesse, vintage, et qui ne manque pas d’excentricité. Dans la grande banlieue de Los Angeles où le réalisateur a grandi et a tourné plusieurs films (BoogieNights, Magnolia et Punch-Drunk Love), la Vallée de San Fernando, Gary 15 ans, tombe amoureux d’Alana, une jeune fille qui en a 25. A cet âge cela parait inaccessible. Mais il fonce, beau parleur, sans une once de timidité, sûr de lui et de son avenir. Il est certain au premier regard d’avoir rencontré la femme de sa vie. Elle, réticente au départ, se laisse pourtant aller à la curiosité envers cet adolescent qui ne manque pas d’audace. On pourrait résumer le scénario au banal « a boy meets a girl ». Ce serait très réducteur pour un film qui dégage un charme singulier, qui nous entraine dans un monde de nostalgie où un adolescent et une jeune femme enchainent des aventures dérisoires, anecdotiques et grandioses. Deux êtres que le génie du réalisateur a choisi loin des canons cinématographiques. Lui, Gary, adolescent grassouillet, boutonneux, à peine sorti de la puberté, sans charme particulier, qui n’a jamais été acteur (il est le fils de Philip Seymour Hoffman, acteur décédé en 2014 qui fut l’un des favoris du cinéaste). Elle, Alana Haim, chanteuse et musicienne du groupe Haim (un trio formé avec ses sœurs Danielle et Este, également au générique), qui a tourné des clips avec le réalisateur mais n’a jamais été actrice. Leur naturel (ils ne portent aucun maquillage), leur fraicheur, leur innocence, leur talent sont une source de fascination. Au jeu de « je t’aime moi non plus », ils ne se quittent pourtant pas des yeux, se cherchent, s’esquivent, passent par toutes sortes de prétendants, mais ne peuvent se passer l’un de l’autre et finissent par se trouver. Leur différence d’âge se traduit par des parcours différents mais qui se recoupent constamment. Il a le sens des affaires, crée d’abord une entreprise de lits à eau puis de flippers, dans un monde de liberté où tout est possible. Chaque fois elle est à ses côtés. Dans de magnifiques scènes tournées en travellings latéraux, le réalisateur les montre dans des courses effrénées, souvent répétées, mais jamais ensembles et pas toujours dans la même direction. Une formidable bande son les accompagne constamment. Une mélopée entêtante de Nina Simone ouvre le film. Ils seront ensuite accompagnés tout au long de la naissance de leur amour par The Four Tops, Clarence Carter ou David Bowie. Le réalisateur les propulse au moment du choc pétrolier des années 73, ce qui donne lieu à une scène assez cocasse, Alana au volant d’un camion en panne d’essence qui, moteur éteint, dévale dans l’obscurité Beverly Hills en marche arrière. Ces deux jeunes occupent tout l’écran et sont constamment présents tout au long du film. Les adultes qui les entourent sont soit risibles, comme ce restaurateur qui parle en anglais avec l’accent japonais à son épouse nippone, ou pathétiques. Des figures emblématiques de l’époque, Sean Penn incarnant un comédien has been alcoolique baptisé Jack Holden (variation de William Holden), caricatures de célébrité, Bradley Cooper campant le producteur Jon Peters dans une version cocaïnée, Benny Safdie, Tom Waits.
Pour terminer j’insisterai sur la minutieuse reconstitution des années 70, sur la beauté de la photographie avec le chef opérateur Michael Bauman, sur une mise en scène subtile qui manie habilement les ellipses, les non-dits, avec des regards, des petits gestes, des silences qui en disent bien plus que de longs discours. Un grand film.