Auteur : Acteur, producteur, réalisateur, Hou Hsiao-Hsien, 68 ans, est le plus connu des cinéastes taïwanais. Il est l’auteur d’une vingtaine de longs métrages, dont sept ont été sélectionnés à Cannes où il a reçu le Prix du jury en 1993 pour Le Maître de marionnettes et le prix de la mise en scène en 2015 pour The Assassin. Ses films récents les plus connus sont Millenium Mambo (2001), Three Times (2005) et Le voyage du ballon rouge (2008).
Résumé : Chine IXème siècle sous la dynastie des Tang. L’Empereur veut combattre des gouverneurs de province qui essayent de se soustraire à son autorité. Héritière d’une grande famille, Nie Yinniang a été élevée loin de ses parents par une nonne qui l’a initiée secrètement aux arts martiaux. Elle fait partie de l’ordre des Assassins qui a pour mission d’éliminer les tyrans locaux. Elle est particulièrement chargée de tuer le gouverneur rebelle de la province de Weibo. C’est le prince Tian Ji’an qui n’est autre que son cousin, auquel très jeune elle avait été promise et dont elle est restée très amoureuse. Réussira-t-elle à accomplir sa mission ?
Analyse : Si l’on définit le cinéma comme un art qui consiste à exposer au public une image en mouvement accompagnée le plus souvent d’une bande son, le film de Hou Hsiao-Hsien remplit pleinement sa mission car il est cinéma pur. Le ressort narratif n’est pas ici le déroulé d’une histoire bien charpentée avec ses débuts, ses rebondissements parfois spectaculaires, et sa fin. Certains spectateurs seront sûrement désarçonnés par la complexité de l’intrigue qui ne permet pas une compréhension totale du propos, par le mystère qui imprègne certains plans ; mais qu’importe ! Mieux vaut se laisser emporter par les images. Ce film est d’une telle beauté, d’une telle puissance, est un tel plaisir esthétique que l’intrigue en elle-même passe au second plan. Le prologue commence par un noir et blanc au grain très élaboré qui permet de poser l’intrigue ; qui permet surtout de camper les deux personnages principaux de femme, la femme en noir, l’Assassin, Nie Yinniang, incarnée par la sublime Shu Qi, et la nonne qui l’a élevée, toute de blanc vêtue. Puis, après l’annonce du titre en rouge vif, la couleur explose. Tout alors est œuvre d’art ; le moindre plan devient un tableau particulièrement soigné où règne l’harmonie : les somptueux décors scrupuleusement reconstitués, les couleurs où dominent le rouge et l’or, la gestuelle des personnages, la lenteur de la caméra qui se fait soudain fulgurance au moment des quelques combats de la grande dame en noir. Le chatoiement des soieries, les voiles qui nimbent les scènes intimes, ou qui font apparaître des personnages cachés, révèlent la virtuosité du réalisateur et son sens aigu de la mise en scène. Ces voilages frémissent sous un souffle toujours présent, ce qui évoque un des piliers de la pensée chinoise, le taoïsme, où le souffle est le symbole de l’élan vital ou des pulsations intérieures des personnages. Pulsations que l’on lit essentiellement dans les regards et les attitudes, notamment chez Yinniang, qui tout au long du film ne dira qu’une seule réplique. Le décor naturel est également filmé avec beaucoup de maîtrise. Les paysages de Chine continentale et de Mongolie intérieure avec les montagnes escarpées et les immenses plaines parcourues de files de petits cavaliers colorés, sont stupéfiants de beauté et dignes de la palette d’un grand maître.
The Assassin a obtenu à Cannes le prix de la mise en scène, oh combien mérité ! Les combats apparaissent le plus souvent à travers de longs travellings, derrière des troncs de bouleaux blancs et épurés. Jeux chatoyants des lumières, lignes de fuite, inversion des échelles. La scène de la rencontre de la dame blanche et de la dame noire, au somment d’une montagne noyée dans une mer de brume est époustouflante de beauté et restera dans les annales. On pourrait classer le film dans la catégorie des wu xia pian, films de « chevaliers errants » ou « de sabre chinois ». C’est la première fois que Hou Hsiao-Hsien se risque au genre. Les quelques rares scènes où l’héroïne disparaît en sautant des toits en attestent. Mais rien d’un Tigre et Dragon d’Ang Lee par exemple. Le réalisateur préfère aborder le genre d’une manière romantique, presque contemplative en privilégiant les longs plans séquences, les frôlements de la soie, ou les rapports entre les personnages. Yinniang n’est pas qu’une combattante très habile. C’est une femme qui a du cœur, au grand dam de la nonne qui le lui reproche à deux reprises « Ta technique est irréprochable, mais ton âme reste prisonnière de tes sentiments », allant jusqu’à essayer de la combattre. La parabole de l’oiseau bleu triste et solitaire qui se remet à chanter et danser lorsqu’il se voit dans un miroir – car il est alors parmi les siens – jusqu’à en mourir, éclaire le parcours de Yinniang et donne toute sa force psychologique au film.
Il n’est pas étonnant que ce film ait maturé pendant une décennie et ait nécessité bien plus de quinze mois de tournage. Le résultat est un joyau qui fera date dans l’histoire du cinéma.
Brava, ragazza mia ! J’ai partagé ce bonheur et cette émotion. La scène de l’oiseau et l’humanité de la protagoniste m’ont bouleversée.