Auteur : Sergueï Volodimirovich Loznitsa, né en 1954, est un réalisateur, scénariste, producteur ukrainien. Il commence en 1981 des études scientifiques à l’Université Polytechnique de Kiev où il étudie les mathématiques appliquées et les systèmes de contrôle. Sorti major il travaille de 1987 à 1991 comme scientifique à l’Institut de Cybernétique. Parallèlement à son activité principale, il est traducteur de japonais en russe et développe un vif intérêt pour le cinéma. Il est reçu en 1991 à l’Institut national de la cinématographie de Moscou. Il en sort diplômé six ans plus tard, avec les honneurs du jury. Il réalise, en 2000, des films documentaires à Saint-Pétersbourg. Un an plus tard, le cinéaste s’installe, avec sa femme et ses deux filles, en Allemagne. Ses quatre longs-métrages ont tous été sélectionnés en compétition officielle au Festival de Cannes : My Joy en 2010, Dans la brume en 2012 (il a aussi reçu le prix FIPRESCI de la critique internationale), Une femme douce en 2017 et Babi Yar, Contexte en 2021, qui a obtenu le Prix spécial du jury de l’Oeil d’or. En février 2022 il quitte l’European Film Academy, estimant que la réaction de cette dernière face à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe est trop faible. Quelques semaines plus tard il est exclu de l’Académie cinématographique ukrainienne, qui lui reproche son « manque de loyauté » et son « cosmopolitisme ».
Résumé : Le réalisateur ukrainien nous livre un documentaire sur le massacre des Juifs par l’armée allemande avec l’aide de la Police auxiliaire ukrainienne, les 29 et 30 septembre 1941, sans la moindre résistance de la part de la population locale, dans le ravin de Babi Yar, situé au nord-ouest de Kiev. Le film reconstitue le contexte historique de cette tragédie à travers des images d’archives.
Analyse : Babi Yar, lieu de sinistre mémoire qui symbolise le massacre de 33 771 Juifs tués par balle en deux jours (« Shoah par balles ») et jetés dans le ravin de Babi Yar. Au total un demi-million de Juifs seront massacrés en Ukraine pendant la guerre sur plus de 200 sites. Avec le silence pesant de la population locale. Le réalisateur a ajouté au titre « Contexte » signifiant qu’il ne se contente pas de ce fait précis qui n’est relaté qu’en seconde partie de film mais qu’il brosse la situation de l’Ukraine pendant la seconde guerre mondiale. Il a utilisé pour ce faire des documents de propagande tant russes qu‘allemands, retrouvés dans des archives, en indiquant le contexte historique par quelques encarts. Grâce à un montage astucieux et à une bande son très travaillée, il a débarrassé ces documentaires de toute idéologie, nous donnant les images brutes de ce qu’a été ce conflit. Ce faisant le réalisateur ressuscite un épisode du massacre des Juifs que les Allemands, puis après eux les Russes, ont soigneusement occulté, comblant le ravin, y implantant diverses industries, et qui ne seront plus évoqués publiquement en Ukraine avant 1991. Au cours de cette première partie le réalisateur est particulièrement silencieux. Aucune voix off ni musique, très peu d’indications écrites, les images se suffisant à elles-mêmes. On y voit la population de Kiev, ballottée entre deux invasions, avec des images quasi similaires dans les deux cas. Les Allemands d’abord, sont accueillis en libérateurs. Des portraits d’Hitler sont placardés un peu partout avec la légende « Hitler, notre libérateur ». De brillantes parades avec de longs défilés interminables, musiciens, danseuses, femmes, enfants, hommes de tous âges, qui saluent bras tendus, sont organisées pour les officiels allemands. Puis les portraits du führer sont prestement enlevés lorsque les chars russes débarquent, acclamés par la population. La seconde partie est glaçante. Elle témoigne de ce massacre innommable. Certes aucune image des exécutions mais des files interminables de Juifs amenés par vagues sur la crête du ravin pour y être exécutés. Le réalisateur reprend également les images d’archives d’un procès fait après la guerre à une dizaine d’officiers allemands, avec des témoignages poignants de rescapés du massacre. Procès qui préfigure celui de Nuremberg.
Un passage émouvant de l’ouvrage de Vassily Grossman (L’Ukraine sans les Juifs) défile à l’écran où l’auteur qui constate qu’il n’y a plus aucun juif en Ukraine, énumère toutes les catégories sociales de juifs massacrés, massacre de l’âme d’un peuple.
Un documentaire précieux, nécessaire, qui me pose toutefois question : au moment de la reprise de Kiev par les Russes, on voit l’exode de quelques familles. Mais on voit également des milliers de gens qui acclament les chars russes puis assistent avec enthousiasme à la pendaison publique des officiers allemands condamnés à mort. Ceux-là même qui acclamaient les Allemands en libérateur ?
Nous avons vu ce documentaire la semaine dernière, je n’avais pas lu ta critique
je l’approuve totalement. c’est un film bouleversant car ce sont des vraies images brutes !
Elisabeth