Auteur : Cristian Mungïu né en 1968 est un réalisateur, scénariste et producteur roumain. Après des études de littérature anglo-américaine, il se forme à l’École de cinéma de Bucarest. Il est engagé comme assistant réalisateur par Radu Mihaileanu et sur Capitaine Conan de Bertrand Tavernier, tourné en Roumanie. Il signe en 2002 son premier long métrage, Occident portrait de la Roumanie d’aujourd’hui à travers les destins croisés de trois personnages, présenté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Son deuxième long métrage, 4mois, 3 semaines, 2 jours (2007), sur un avortement clandestin sous Ceausescu, reçoit la Palme d’or à Cannes et le Prix FIPRESCI. En 2012 il obtient le Prix du scénario à Cannes 2012 pour son film Au-delà des collines, qui a par ailleurs valu aux actrices Cosmina Stratan et Cristina Flutur le Prix d’interprétation féminine. Baccalauréat, son cinquième long métrage, lui apporte ensuite le Prix de la mise en scène cannois en 2016. R.M.N. est son sixième long métrage, sélectionné à Cannes.
Interprètes : Marin Grigore (Mathias), Judith State (Csilla), Macrina Bârladeanu (Ana),
Résumé : Le récit se déroule dans un village multiethnique de Transylvanie. Matthias quitte très abruptement son emploi en Allemagne pour retourner au village où vivent sa femme Ana et son fils mutique de huit ans. Il est l’amant de longue date de Csilla qui gère une petite usine de boulangerie. Celle-ci peine à recruter des salariés sur place car le salaire est très bas et se voit contrainte, pour prétendre à une aide européenne, d’embaucher rapidement trois travailleurs venus du Sri Lanka, ce qui va mettre le feu aux poudres dans le village.
Analyse : R.M.N. (IRM en français) est le scanner de la peur de l’autre, de la xénophobie ordinaire. Un film fort, noir, glaçant, qui aborde les problèmes du chômage, de la précarité, du dévoiement du système d’aides européennes qui conduisent à des aberrations. Il aborde surtout la haine de l’étranger par les gens du village, qui paradoxalement sont eux-mêmes obligés de s’exiler et subissent la haine à leur tour. Le réalisateur analyse au scalpel les différents ressorts de cette haine ordinaire, raisons économiques (l’étranger qui vient nous prendre le travail dont nous ne voulons pourtant pas), culturelles (la peur du grand remplacement), religieuses (la croyance fausse que les sri-lanquais sont des musulmans). La présence des trois étrangers fait exploser toutes les frustrations, ravive les haines de race et de religion, prêtre catholique en tête. Un panneau est entraperçu sur la porte d’une boutique, « Attention aux animaux sauvages ». Qui sont-ils ? Les ours, présents dans le film que le représentant de l’UE est venu compter, les étrangers, ou ceux qui sans aucune compassion les chassent contre leurs propres intérêts (pas de sri-lanquais, plus de pain dans la boulangerie !). Un extraordinaire plan séquence de 17 mn, dont le réalisateur a le secret, dans lequel les gens du village sont réunis sous la houlette du maire et du prêtre où s’exprime sans complexe toute la haine nauséabonde de l’étranger. Ce film nous montre une humanité dans ce qu’elle a de pire, de plus bas, de plus méprisable, et nous évoque immanquablement la montée des populismes et de l’intolérance en Europe.
De manière générale ce film est dominé par la peur. Dès les premières scènes le spectateur est plongé dans une atmosphère d’angoisse. Un petit garçon part à l’école et traverse une forêt. Il est tranquille, nous beaucoup moins. À un moment il se fige d’effroi, part en courant, et devient mutique. Ce qu’il a vu restera définitivement hors champ. Le réalisateur aime à cultiver le mystère favorisé par une tension inquiétante qui irrigue tout le film, avec une belle photographie, celle en gros plan du visage des villageois, celle de la nature, des forêts en particulier. Il termine son film sur une scène ouverte, propice à toutes les interprétations, les plus optimistes comme les plus sombres.
Un film magistral, impressionnant, un des grands oubliés du palmarès du festival de Cannes 2022.