Tár

Auteur : né en 1964 Todd Field est un acteur et réalisateur américain. Il débute sa carrière en 1986 dans une série télévisée, puis enchaîne les seconds rôles dans des films de Woody Allen, de Roland Joffé ou de Stanley Kubrick dans Eyes Wide Shut où il joue le rôle d’un pianiste professionnel. Déjà réalisateur de six courts métrages, il se lance dans la mise en scène en 2001 avec le drame In the bedroom. Premier long métrage, et première pluie de récompenses, dont une nomination à l’Oscar du meilleur film. Il réalise en 2006 Little Children, puis après 16 ans de silence il réalise Tár dont il est scénariste, producteur et réalisateur. Cate Blanchett a obtenu pour son interprétation de Lydia Tár la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise 2022le Golden Globes 2023 de la Meilleure actrice dans un drame, et est en route pour un probable troisième Oscar.

Interprètes : Cate Blanchett (Lydia Tár) ; Nina Hoss (sa femme) ; Noémie Merlant (Francesca, l’assistante) ; Julian Glover (un ami)

Résumé : Lydia Tár, cheffe d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger suite à des révélations sur ses excès de pouvoir.

Analyse : Enfin un beau film d’auteur, fort, dérangeant qui vous hante longtemps. Ce n’est ni de la cancel culture (culture de l’effacement, de l’ostracisme) ni de la misogynie mais l’étude de la corruption du pouvoir chez l’être humain, quel que soit le sexe et le milieu. Ce qui interpelle c’est que ce milieu, celui feutré de la musique classique, paraissait à l’abri de ces dérives. Non c’est comme ailleurs ainsi que le démontre ce film qui tire ses grandes qualités de la rencontre entre un metteur en scène et une interprète magistrale. Todd Field dit lui-même que sans Cate Blanchett le film n’aurait pas existé. Elle endosse d’une manière stupéfiante l’habit d’une cheffe d’orchestre géniale qui est arrivée à force de travail et de passion pour la musique aux plus hautes fonctions, intégrant l’orchestre philarmonique de Berlin (qui dans la réalité n’a jamais accueilli aucune femme à sa tête) puis qui se perd dans sa toute puissante autorité. Une femme complexe, attachante par certains aspects, horriblement antipathique par d’autres. Cate Blanchett interprète ce personnage avec maestria. De sa voix grave, ample et hypnotisante, elle dirige ses musiciens, répond aux interviews, anime des masters class. Elle a un côté fascinant et puissant dans son intelligence, sa sensibilité, sa culture immense de la musique classique, son assurance face à son métier. Mais elle a également un côté dur, égotique, impitoyable qui fait d’elle un personnage qui suscite la haine et rend le film dérangeant. Le cinéaste distille habilement les éléments annonciateurs de la chute. Les premières scènes nous familiarisent avec la puissante célébrité de Lydia Tár. Elle est grande, sèche, élégante ; des petites mains s’affairent autour d’elle pour ajuster un costume sur mesure, ses voyages sont minutés, elle navigue entre les chambres d’hôtels, les avions, les trains, les taxis. Elle est interviewée à la télévision, s’apprête à publier un livre sur sa vie et enchaîne les répétitions pour la Symphonie n°5 de Gustav Mahler, la seule qui manque à son palmarès. Elle est toujours accompagnée de son assistante Francesca, servile et effacée, qui voudrait être également cheffe d’orchestre mais qui pour le moment n’a pas le choix. Bref une grande vedette admirée de tout le monde. Puis les grains de sables s’introduisent dans cette vie bien réglée. Le premier se produit à la Juilliard School où un élève affirme ne pas vouloir diriger Bach, ce grand misogyne cis-hétéro-blanc. Elle le réduit impitoyablement au silence en lui lançant des critiques assassines, « les architectes de votre âme semblent être les réseaux sociaux ». Il n’a d’autre choix que de partir et lui assène : « Vous êtes une vraie salope. » D’autres fissures apparaissent, une étudiante ex protégée, dont on n’apercevra que la silhouette rapide d’une chevelure fauve, se suicide. La mécanique s’enraye. Elle est accusée de harcèlement sexuel et montre un visage sombre et particulièrement manipulateur. Son entourage finit par la lâcher et c’est une descente aux enfers, magnifiquement rendue par l’actrice dont les expressions du visage traduisent le lent délitement ; son visage change, son teint est blafard, sans maquillage ; elle en devient presque laide dans ce qui est une véritable folie, enfermée dans sa mégalomanie et son sentiment d’impunité.

Une mise en scène précise, rigoureuse, brillante, resserrée sur l’ambivalence et les contradictions de son héroïne, sert un beau film sur une étude de caractère, puissant, noir, dérangeant, qui trace plusieurs pistes dans lesquelles des bizarreries s’accumulent où le spectateur a le loisir de se perdre, et qui ne peut laisser indifférent. 

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