C’est la troisième fois que Wes Anderson, cinéaste américain de 52 ans, revient à Cannes après Moonrise Kingdom en 2013 et The French Dispatch en 2021. Il présente cette année Asteroid City. Nous sommes en 1955. Asteroid City est une ville minuscule, en plein désert du Nevada, dans le sud-ouest des États-Unis. Le site est surtout célèbre pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique à proximité. Ce week-end, les militaires et les astronomes accueillent cinq enfants surdoués, distingués pour leurs créations scientifiques, afin qu’ils présentent leurs inventions. Mais dans le même temps c’est aussi la chronique d’une troupe de théâtre new-yorkaise dont les comédiens répètent. Alors que les couleurs, comme toujours chez lui sont pastel, acidulées, on passe au format carré et au noir et blanc lorsque c’est la troupe de théâtre qui travaille. Une profusion de détails, de mouvements, d’acteurs prestigieux, Scarlett Johansson, Jason Schwartzman, Tom Hanks ou Tilda Swinton pour ne citer qu’eux. Comme à son habitude, un cinéma gigogne avec l’histoire dans l’histoire, des dialogues débités à un rythme de mitraillette qu’on a beaucoup de mal à suivre, des répliques faussement ironiques, une ambiance burlesque et foutraque, des personnages fantasques, rien de bien nouveau chez ce réalisateur. Le film a également sa part de science-fiction avec un alien qui débarque pour voler le morceau de météorite qui fait la célébrité du village. De nombreux clins d’œil au cinéma américain, notamment à La chevauchée fantastique ou à Il était une fois dans l’ouest. À quelques kilomètres de là, par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires. L’allusion à la paranoïa américaine en pleine guerre froide s’ajoute au décor. Une bande son de musique tonitruante avec régulièrement des bruits d’explosion. Un cinéma foisonnant qu’on aime ou qu’on déteste.
Nous allons faire une plongée dans l’Italie du 19s. avec Marco Bellocchio. Ce réalisateur italien de 83 ans revient à Cannes cette année avec Rapito. (L’enlèvement), son 28ème long métrage. Réalisateur fameux qu’il n’est plus besoin de le présenter, bien connu du festival de Cannes puisque dès 1986 il provoquait le scandale avec la projection de son film Le Diable au corps. Les évènements retracés sont historiques. Nous sommes en 1858 à Bologne. Les soldats du pape font irruption dans une famille juive, les Mortara, pour récupérer leur fils Edgardo âgé de 7 ans. Il aurait été baptisé en secret par une servante et donc doit recevoir une éducation catholique conformément à la loi pontificale. Les parents d’Edgardo, dévastés, mettent tout en œuvre pour récupérer leur fils. Leur combat prend rapidement une dimension politique qui indigne le monde entier car ils sont soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et par la communauté juive internationale. Mais le Pape refuse de rendre l’enfant. A 83 ans le cinéaste n’a pas perdu de sa combativité et continue à faire un cinéma politique. Il s’est attaqué méthodiquement à toutes les institutions de la société quand elles bafouent la liberté et la dignité humaine. Il a fustigé la famille (Les points dans les poches, 1965), l’armée (La Marche triomphale, 1976), la bourgeoisie (La Nourrice, 1999), le terrorisme (Buongiorno notte, 1980 et dans sa récente série Esterno notte, 2022), le fascisme (Vincere, 2009), la mafia (Le traitre, 2019). L’Église n’y a pas échappé (Au nom du père, 1972) avec aujourd’hui Rapito (L’Enlèvement). Dans ce dernier film il fustige l’antisémitisme de l’Église catholique. Avec des méthodes dignes du Moyen-Age, le pape Pie IX humilie les émissaires et éloigne volontairement cet enfant de sa famille en lui faisant faire subir un lavage de cerveau terrifiant pour le détourner de sa foi juive qu’il finira par renier. Il réalise un film sombre qui se déroule essentiellement dans les couvents ou les églises, de facture classique, où il montre remarquablement les effets dévastateurs sur un jeune cerveau d’un enseignement à sens unique. Un bémol toutefois. Le film pèche peut-être par trop d’ambition. Il aborde énormément de thèmes avec de très nombreux personnages. Sur une durée de 15 ans il balaie non seulement l’histoire de cet enlèvement, la réaction de la famille, les pressions nationales et internationales, la vie de cet enfant et l’oubli progressif de sa religion d’origine, mais il y ajoute un pan de l’histoire italienne, le risorgimento, c’est-à-dire l’unification italienne et la prise progressive des États pontificaux par les troupes de la maison royale de Savoie. C’est dommage car cela affaiblit un peu son propos.