Auteur : Kamal Lazraq, né en 1984, est un réalisateur et scénariste marocain. À 18 ans il entame des études de droit et de sciences politiques à Paris où il découvre le cinéma d’auteur qu’il n’avait pas eu l’occasion de voir à Casablanca. Une passion est née. Il décide d’intégrer la Femis et en sort diplômé en 2010. Drari, son court métrage de fin d’études est remarqué et primé par la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2011. Il réalise un second court métrage, L’homme au chien (2014). Son cinéma se nourrit du réel puisé dans des rencontres et des situations vécues dans les rues de Casablanca où Il repère des personnages pour ses films qui sont donc des acteurs non professionnels. Son premier long métrage, Les Meutes (2023), prolonge son second court. Il a été présenté au festival de Cannes dans la sélection Un certain regard où il a reçu le prix du jury.
Interprètes : Ayoub Elaid (Issam) ; Abdellatif Masstouri (Hassan) ; Abdellah Lebkiri (Dib).
Résumé : Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils, vivent au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme. Mais rien ne se passe comme prévu et les voilà à errer toute la nuit pour se débarrasser d’un cadavre.
Analyse : Un premier film remarquable. Kamal Lazraq mélange habilement les genres. C’est un film noir, un polar désespérant, un drame mafieux, mais en même temps une comédie burlesque pas loin de l’absurde où s’invitent les superstitions et les fantômes. C’est aussi un film qui dévoile une réalité du Maroc des bas-fonds, loin des dépliants touristiques. Hassan et Issam sont des miséreux. Ils essaient de survivre par des petits boulots et des trafics pour apporter une nourriture convenable à leur mère et grand-mère (la seule femme qui apparaîtra dans le film). On est parmi les classes les plus pauvres, exploitées le plus souvent par des bandes de mafieux. La première scène, très talentueuse, nous plonge immédiatement dans une ambiance glauque. Tout est sombre et sordide. Un combat de chiens molosses, hurlant, bavant, se battant à la mort. Un chien ensanglanté gît devant son maître en pleurs qui accuse les vainqueurs, de ceux qu’on n’aimerait pas rencontrer dans un coin de rue, d’avoir truqué le jeu. Il se fait tabasser. On comprend très vite que ces combats sont tenus par des mafieux qui ne semblent pas faire de cadeaux. Pour se venger, le propriétaire du chien tué engage Hassan, petit escroc, pour enlever celui qui l’a frappé. Hassan enrôle son fils dans cette aventure, « pour un petit travail ». Mais au moment de « livrer » l’homme, ils s’aperçoivent qu’il est mort, étouffé dans le coffre de la voiture. S’en suit une nuit d’errance qui fait tout le film, pour se débarrasser de ce cadavre encombrant. Ils vont de mésaventures en mésaventures. Finiront-ils par s’en débarrasser ? En tout cas la nuit est riche en suspens et en obstacles. La caméra ne lâche pas ces deux pieds nickelés, drôles parfois et qui finissent par en être touchants. C’est un portrait implacable d’une société marocaine empreinte de superstitions mais surtout de la crainte de Dieu, ce qui n’empêche pas les meurtriers. Hassan, par exemple, exige que le cadavre soit lavé et enveloppé dans un linceul selon la tradition religieuse, avant de s’en débarrasser ! Une société où le poids de l’autorité paternelle pèse encore, mais dont le fils, qui juge à l’évidence son père, s’émancipera progressivement.
Malgré parfois une baisse de rythme, la mise en scène est très soignée, dynamique, avec de très belles lumières, du chef opérateur Amine Berrada, de la ville la nuit, des lueurs des réverbères, des phares des voitures et de la campagne nimbée de la pâle lueur de la pleine lune. Les acteurs non professionnels sont extraordinaires, de vraies gueules de cinéma, qui jouent admirablement des silences et des regards. Une vraie réussite pour ce premier film prometteur.