Auteur : Mohamed KORDOFANI est un réalisateur, scénariste et producteur soudanais. Il a été, pendant seize ans, ingénieur aéronautique chez Gulf Airlines. Son premier court métrage Nyerkuk (2016) a remporté le prix Black Elephant du meilleur film soudanais, le prix NAAS du meilleur film arabe au festival de Carthage où il a fait sa Première Mondiale, le prix du jury au festival international du film arabe d’Oran et le prix Arnone-Belavite Pellegrini au FCAAA de Milan. Son deuxième court métrage, Kejers Prison (2019), a été projeté pendant la révolution soudanaise sur la place où se tenait le sit-in devant des milliers de manifestants, et son documentaire A Tour in love Republic a été le premier film pro-révolution à être diffusé sur la télévision nationale soudanaise. Son premier long métrage fiction Goodbye Julia a été projeté à Cannes 2023 dans la section Un certain regard et a remporté le Prix de la Liberté. C’est la première fois qu’un film soudanais est projeté au festival de Cannes.
Interprètes : Eiman Yousif (Mona) ; Siran Riak (Julia) ; Nazar Goma (Akram, le mari de Mona).
Résumé : Une étrange amitié lie une riche soudanaise musulmane du Nord à une soudanaise chrétienne du Sud démunie après la mort de son mari. Ce lien cache, sur fond de guerre civile entre le Nord et le Sud, un secret et un mensonge.
Analyse : Nous sommes en 2005. Au Soudan l’atmosphère est à la guerre civile entre les musulmans du nord et les chrétiens du sud après la mort du leader des chrétiens du Sud, John Garang. Dans quelques années la population sera appelée à voter par referendum d’autodétermination l’indépendance du Sud qui sera gagnée en 2011. C’est dans ce contexte historique que Mahamed Kordofani a situé l’action de son premier long métrage. Le réalisateur ne laisse aucune place au suspens. Dès les premières images on connait les raisons qui vont pousser Mona à recueillir Julia comme servante et à l’aider jusqu’à payer l’école privée de son fils orphelin et à lui permettre de reprendre des études. Elle éprouve envers elle une grande culpabilité et soulage sa mauvaise conscience en débordant d’égards et d’attention. Julia ne connait pas ces motivations et se laisse aller à une amitié et une grande complicité avec Mona. Mais elle va découvrir la vérité par la suite, et sans rien dire, ne va rien changer à son attitude. Cette vérité sera dévoilée grâce au fils de Julia, par des moyens qu’on ne comprend pas bien, seule faiblesse du scénario. Après la confrontation entre les deux femmes, restera malgré tout une forme de tendresse, car Julia comprend que Mona est victime d’un système archaïque. C’était une chanteuse célèbre qui a dû cesser toute activité sous la pression de son mari, dans l’attente d’un enfant qui ne viendra pas. Julia va l’aider à devenir ce qu’elle est.
Kordofani a réalisé un film magnifique, élégant, d’une grande beauté formelle, aux couleurs chaudes, qui met l’accent avec force sur l’intolérance et le racisme ambiant des musulmans du Nord qui ont tendance à mépriser les chrétiens en les considérant comme des sous-hommes, des esclaves. Un film qui dénonce une société sous le poids du conservatisme religieux et du patriarcat où les femmes, du moins au Nord, n’ont de rôle social que celui que veut bien leur assigner leur mari. Un film sur la culpabilité et la réparation, remarquablement interprété – les deux actrices sont fascinantes – aux accents de tragédie, une ode à la tolérance, à l’amitié et à la solidarité féminine. Un premier long métrage très prometteur.