Autrice : Marta Savina, née à Florence en 1987, est une scénariste et réalisatrice italienne. Violoniste à ses débuts, elle se détourne de la musique et déménage à Londres, puis aux États-Unis, où elle obtient son Master en réalisation de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). En 2017, elle réalise le court-métrage Viola, Franca (2017), primé au Tribeca Film Festival. Elle a travaillé avec James Franco et Francis Ford Coppola, et a dirigé le programme Romanzo Italiano sur Rai 3 et les saisons 2 et 3 de la série Summertime sur Netflix. Primadonna est son premier long-métrage qui a été primé dans plusieurs festivals (Villerupt et Ajaccio) ainsi qu’au Festival du Film de Rome en 2022.
Interprètes : Claudia Gusmano (Lia Crimi) ; Fabrizio Ferracane (Pietro Crimi, le père) ; Francesco Colella (Orlando, l’avocat) ; Manuela Ventura (Sara Crimi, la mère) ; Dario Aita (Lorenzo Musicó, le violeur).
Résumé : Sicile, 1965. Lia a grandi dans un village rural. Elle est belle, têtue et sait ce qu’elle veut. Lorenzo, fils d’un patron local, tente de la séduire. Lorsqu’elle le rejette, fou de rage, il décide de la prendre de force. Au lieu d’accepter un mariage forcé, Lia le traîne au tribunal. Cet acte va ouvrir la voie au combat pour les droits des femmes.
Analyse : Ce premier film est tiré d’un évènement qui a secoué la campagne sicilienne des années 60. Franca Viola a osé dire « non », refusant d’épouser son violeur, alors que la loi italienne prévoit le « mariage réparateur » qui permet à une femme de sauver « son honneur ». Mais ne nous y trompons pas. Cette possibilité est bien une obligation, car confrontée aux préjugés sociaux l’incitation légale devient obligation. Sauver son honneur c’est sauver sa virginité, notion si précieuse dans une société où les femmes n’ont d’autre choix que, soit arriver vierge au mariage, soit passer pour des « putes » (puttane qui, en italien a une valeur péjorative très forte) et en faire son métier (les fameuse filles perdues), soit rester vieille fille bannie de la société. De telles coutumes n’étaient pas si étrangères à certaines de nos régions (je pense en particulier à la Corse d’il y a cinquante ans). L’alliance hypocrite de la loi (qui semble préserver les intérêts de la jeune fille) et de la tradition, aboutit non pas à protéger les femmes mais à assurer l’impunité du violeur. Il a fallu 20 ans pour que le législateur italien, se souvenant de Franca Viola, abolisse la possibilité du mariage dit réparateur. N’oublions pas que ces lois existent toujours au-delà de la Méditerranée. Le sujet traité par Marta Savina est donc courageux et nécessaire. Certes sa mise en scène n’évite pas un certain académisme de jeunesse. Mais on peut saluer l’habileté de la réalisatrice. D’abord elle présente Lia comme une jeune fille très partagée entre sa volonté d’émancipation et le poids des traditions, dont elle ne peut s’affranchir totalement, seule contre tous, sauf le soutien de son père et d’Orlando, son avocat ami de la famille, incarné par Francesco Colella, clone de Gian Maria Volonte. Elle ne souhaite ni vengeance ni compassion, mais simplement une place autre qu’épouse, pute ou vieille fille, cette voie médiane que lui refuse la société de l’époque – en ce sens on peut dire que Lia représente une pionnière dans la lutte pour l’émancipation des femmes. Les hésitations de la jeune femme sont particulièrement bien rendues par la grâce de l’actrice qui incarne Lia avec une intensité et une profondeur qui illumine le film. Habileté aussi de n’avoir pas fait un « film d’époque » mais d’avoir traité ce sujet avec une certaine modernité, ce qui lui confère un aspect intemporel. On peut également souligner une bonne étude de la société sicilienne, avec la langue italienne mêlée au patois local, et de l’Église, prompte à soutenir les puissants (en l’occurrence la famille mafieuse), contre les pauvres qui n’ont qu’à se taire, éventuellement sous la menace.
Certes on peut trouver à ce film un côté « trop didactique et scolaire … (mais) malgré ces défauts (rappelons qu’il s’agit d’une première œuvre) … Primadonna n’en reste pas moins un film plutôt réussi, … qui mérite le détour ». (Xavier Affre, MovieRama.fr)