Deux films qui montrent les rigidités, les règles liberticides des sociétés musulmanes du Moyen Orient
Inchallah un fils.
Auteur : Amjad Al Rasheed est un réalisateur jordanien né en 1985. Après des études de cinéma il est diplômé d’un Master en réalisation et montage. Il a participé lors de la 57ème Berlinale au Talent Campus du festival de Berlin 2007, puis réalisé cinq courts-métrages remarqués et primés dans de nombreux festivals arabes et internationaux. En 2016, il fait partie au sein de « Screen International » des cinq « Arab Stars of Tomorrow » mettant en avant les talents émergents de la région. Inchallah un fils est son premier long-métrage. Il a été présenté à la Semaine de la critique à Cannes 2023 et a reçu le prix de la fondation Gan à la diffusion. C’est le premier film jordanien à être présenté à Cannes.
Interprètes : Mouna Hawa (Nawal) ; Seleena Rababah (Nora) ; Haitham Omari (Rifqi) ; Salwa Nakkara (Souad), et d’autres acteurs jordaniens inconnus en France.
Résumé : Nous sommes en Jordanie de nos jours. Après la mort soudaine de son mari, Nawal, 30 ans, doit se battre pour obtenir sa part d’héritage, afin de sauver et sa fille et sa maison. Le problème est qu’elle n’a qu’une fille. La solution eût été très différente si elle avait eu un fils !
Analyse : Un film magnifique sur le combat d’une femme dans un pays où elles sont tout au plus des reproductrices sous tutelle d’un mari, d’un père, d’un frère ou même d’un fils. Un film courageux et progressiste ; dans ce contexte on se dit que la censure jordanienne ne doit pas être très regardante. C’est un cri de rage, une critique acerbe de cette société patriarcale et de ses règles. Les femmes dépendent toujours des hommes qui décident pour elles de tout ce qui concerne leur vie. C’est également une critique de la religion et de toutes les religions car Nawal travaille auprès d’une vieille dame dans une famille chrétienne qui traite très durement la fille ainée qui a épousé un coureur de jupon dont elle ne veut pas d’enfants et qui a des rêves d’émancipation. Un film efficace, sans misérabilisme. Un film remarquablement mené avec une dynamique de thriller. Un suspens oppressant est distillé à chaque instant avec beaucoup d’habileté. Tout au long du film on se demande : mais comment va-t-elle s’en sortir ? Des scènes finales pleines d’espoir qui prouvent que tout n’est pas écrit dans le marbre et que les plus opiniâtres finiront, espérons-le, par faire bouger les lignes.
Chroniques de Téhéran :
Auteurs : Ali Asgari, né en 1982 est un réalisateur, scénariste, producteur iranien. Il est l’auteur de plusieurs films qui décrivent les dérives de la société iranienne. Chroniques de Téhéran est son deuxième long métrage après Juste une nuit qui est sorti en salle en France en 2022. Alireza Khatami est scénariste et réalisateur. Il est connu pour Focal Point (2009) et Les versets de l’oubli (2017). C’est essentiellement un scénariste. Chroniques de Téhéran a été sélectionné dans la section Un Certain Regard à Cannes 2023.
Interprètes : Neuf acteurs et actrices iraniens, peu connus dans le cinéma français.
Résumé : Neuf visages de la vie quotidienne à Téhéran : Un homme déclare la naissance de son fils. Une mère habille sa fille pour la rentrée. Une élève est convoquée par la directrice. Une jeune femme conteste une contravention. Une jeune fille se présente à un entretien d’embauche. Un jeune homme vient retirer son permis de conduire. Un homme au chômage répond à une annonce. Un réalisateur demande une autorisation de tournage. Une femme cherche à retrouver son chien.
Analyse : Le film commence par un long plan séquence fixe sur Téhéran la nuit, qui s’éveille progressivement avec les bruits de la ville qui ressemblent à des manifestations. Il se terminera sur le même plan mais avec une vision de fin du monde, allusion à un verset du Coran invoqué dans le film sur le jugement dernier. Puis par un dispositif formel intéressant les réalisateurs nous présentent neuf plans séquences fixes sur une situation déterminée de la vie sociale. Par une écriture brillante et incisive ils mettent en relief des situations absurdes, kafkaïennes, dans lesquels les membres de la société qui y sont confrontés recherchent un sens là où visiblement il n’y en a pas. L’habileté et l’intelligence du dispositif adopté montre un pouvoir sans visage. On ne verra jamais les fonctionnaires de l’administration, les chefs d’entreprise qui plongent les citoyens dans l’absurde ; seule leur voix off déroule leur rouleau compresseur en distillant leurs ordres ou leurs questions qui enferment les protagonistes dans des situations sans issue. Des situations qui ne manquent pas parfois d’humour, malgré leur aspect désespérant. Une société totalement sous contrôle, leur identité, leur corps, leur croyance religieuse, leur sexualité, et même la possession d’un chien, objet impur. Les réalisateurs analysent magistralement comment un régime totalitaire, c’est-à-dire de non droit, distille dans toutes les strates de la société des attitudes autoritaires et hors de tout cadre légal, de la part de quiconque détient la moindre parcelle de pouvoir. Reste à se demander comment un tel film a échappé à la censure. Les auteurs ont déclaré faire neuf courts documentaires qui ont donc échappés à la vigilance des censeurs. On ne peut que saluer l’habileté des cinéastes iraniens à ruser, à tricher et à contourner la censure pour arriver à s’exprimer librement.
Des témoignages et des œuvres essentielles