Dissidente

Auteur : Pier-Philippe Chevigny, né en 1988, est un réalisateur, scénariste et monteur canadien. Il étudie le cinéma à l’Université de Montréal où il obtient un baccalauréat et une maîtrise en études cinématographiques. Il a réalisé plusieurs vidéoclips et publicités, tout en réalisant des œuvres cinématographiques. Ses films, courts métrages, ont été présentés dans de nombreux festivals, et il a reçu différents prix et distinctions pour ceux-ci. Il a remporté le Golden Owl pour Best Short Film au Tirana International Film Festival et participé à la course aux Oscars dans la catégorie des courts-métrages. Son premier long-métrage, Richelieu (Dissidente) a eu sa première internationale le 8 juin 2023 au festival du film de Tribeca, et a obtenu le  Grand Prix, le prix d’interprétation féminine pour Ariane Castellanos, et le prix du public au festival de Saint- Jean de Luz (2023)..

Interprètes : Ariane Castellanos (Ariane) ; Marc-André Grondin (Stéphane, le patron) ; Nelson Coronado (un ouvrier) ; Ève Duranceau (Michèle, cadre).

Résumé : À Richelieu, ville industrielle du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes. 

Analyse : Grand film politique et social, ce premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny nous immerge dans un monde dur, cruel, celui de l’exploitation par les entreprises multinationales au Canada d’une main-d’œuvre étrangère, guatémaltèque en l’occurrence, taillable et corvéable au-delà de toute humanité. Exploitation « légale » puisque le « programme des travailleurs temporaires » a permis « l’importation » de cette main d’œuvre. Un rapport spécial de l’ONU l’a pointé du doigt en dénonçant un « terreau fertile pour l’esclavage moderne. »  Voulant au départ faire un documentaire le réalisateur a choisi la fiction. « Au fur et à mesure que j’enquêtais, je me suis rendu compte que personne ne voulait parler publiquement des abus et de l’exploitation par peur des représailles. De facto, mon projet est devenu une fiction puisque c’était la seule façon de dire la vérité tout en protégeant l’anonymat des témoins. » Cette fiction est réalisée au travers d’une traductrice, Ariane, de père guatémaltèque, chargée de traduire auprès de ces étrangers les directives du patron d’une usine de maïs et les termes de leur contrat. Elle accepte ce travail car elle est endettée et doit sauver son appartement. Souvent filmée de dos, comme pour nous montrer ce qui pèse sur ses épaules, elle se trouve dans une situation ambigüe. Elle représente le patronat auprès de ces ouvriers et en même temps on la sent progressivement glisser vers une situation d’empathie qui la fait basculer vers la défense de ces malheureux, ce qui aura les conséquences qu’elle redoute pour elle. Dans le droit fil des films de Ken Loach, le réalisateur dévoile, à travers les yeux d’Ariane, une situation à peine croyable. Des conditions de travail et d’hébergement indignes, des salaires de misère, un contrat qui leur octroi peu de repos et les oblige à payer des cotisations sociales pour un syndicat qui n’existe pas, une sécurité inexistante, des heures supplémentaires imposées jusqu’à épuisement, une assistance médicale quasi inexistante. 

 La force du film est d’utiliser de longues focales sur les différents personnages qui les isolent du contexte et marquent leur solitude profonde. Elle est également dans la présence constante et la force de conviction impressionnante d’Ariane, remarquablement interprétée par Ariane Castellanos. Elle est aussi d’éviter le manichéisme car à chaque échelon, ils et elles sont à la fois victimes et complices d’un système qui broie tout autant les dominés que les dominants. Les cols blancs ferment les yeux de peur de perdre leur travail, le patron dur et tranchant qui semble dénué de toute compassion est lui-même soumis aux dictats du rendement imposés par le patron français de l’usine qui de loin exige des résultats et menace, les ouvriers poussés par la misère qui ont peur de perdre leur travail et sont bien obligés de se taire. Un film qui dans une mise en scène oppressante nous immerge dans cette déshumanisation, dérive des excès d’une course au profit toujours plus âpre (« Nos profits valent mieux que leurs vies« ), et nous force à nous interroger sur le sens de nos sociétés actuelles.

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