C’est pas moi

Auteur : Leos Carax, né en 1960, est un réalisateur, acteur, scénariste français. De lui, personnalité trouble et cachée, on ne sait que très peu de choses, et lorsqu’il y a quelques informations elles se confondent souvent avec l’histoire de ses films. À la fin des années 70 il se lance dans la réalisation de son premier court-métrage, La Fille Rêvée. Le film s’arrête quand un projecteur explose provoquant un incendie. Mais à 19 ans, son deuxième essai, Strangulations Blues, révèle déjà de grandes qualités qui lui vaudront un Grand Prix du court-métrage au festival de Hyères en 1981. Il se lance avec Alain Dahan, producteur, dans le long-métrage. Naîtra la trilogie de « la rencontre compliquée », avec Boy meets girl (1984), première collaboration avec Denis Lavant, rejoint par Juliette Binoche pour Mauvais sang (1986) et Les Amants du Pont-Neuf (1991). Le film est un échec commercial. Pola X (1998), adaptation du « Pierre ou les ambiguïtés » d’Herman Melville, déclenche une vive polémique au festival de Cannes, où Carax se fait siffler. En 2008, avec Tokyo !, il signe le segment« Merde ». Par manque d’argent il tient des petits rôles. En 2012 il réalise Holy Motors avec Monsieur Merde (Denis Lavant) qui fait sensation au Festival de Cannes, où il est présenté en Compétition. En 2021, sa comédie musicale Annette fait l’ouverture du 74ème Festival de Cannes, César de la meilleure réalisation. 

Résumé : Pour une exposition qui n’a finalement pas eu lieu, le musée Pompidou avait demandé au cinéaste de répondre en images à la question : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? » Il tente une réponse, pleine d’interrogations. Sur lui, son monde. Je sais pas. C’est pas moi ! Mais si je savais, je répondrais que…

Analyse : Je répondrais par un journal en image éblouissant. Journal intime et intimiste où le réalisateur revisite sa carrière, sa vie ; lui qui a toujours été discret sur lui-même se dévoile, un peu. Est-ce lui ? pas lui ? les deux finalement. Il nous livre une sorte de film expérimental traversé par l’ombre de celui qu’il a toujours admiré, Jean-Luc Godard. D’ailleurs, dans un passage très émouvant on entend un message vocal de J.-L.G. à Leos Carax. Dans les pas de son maître (mais, au risque de choquer les idolâtres de Godard, dans un registre beaucoup plus fin et plus poétique), un film de montage brut, tantôt drôle, tantôt mélancolique, triste même, tragique, inventif, émouvant et très stimulant. Il déroule une vie, expose de vieilles photos de famille en noir et blanc, se montre allongé sur son lit avec son chien et ses chats, montre sa fille, celle qu’il a eue avec Katerina Golubeva, la belle actrice de Pola X, aujourd’hui disparue. Un bel hommage aux morts et mortes aimé.e.s (« Y a-t-il rien qui vous élève comme d’avoir été aimé par un mort ou une morte ? »). Il évoque, dans un éblouissant mouvement d’images, son enfance, son père, l’histoire intime et la Grande histoire avec les salauds d’hier, Hitler, la shoah qui le touche personnellement, la bravoure d’Isadore Greenbaum, ce juif ayant défié 20 000 Américains lors d’un rassemblement nazi de 1939 au Madison Square Garden, et les salauds d’aujourd’hui (Marine Le Pen, Bachar el-Assad, Benyamin Netanyahou, Vladimir Poutine…), le drame des migrants avec les photos des corps d’enfant échoués sur le sable et un extrait du film Les Migrants de Chaplin. Un « livre d’images », geste politique et poétique, avec un hommage à tous ceux qui l’ont accompagné, Denis Lavant bien sûr, son double, ce Monsieur Merde inoubliable, faune à barbiche rouge, costume vert et ongles crochus. Il diffuse des extraits de tous ses films, fait entendre la musique qui l’a porté, Barbara, Nina Simone, Léo Ferré ; un hommage appuyé à Davis Bowie avec la diffusion de plusieurs scènes de ses films où retentissent des morceaux de cet artiste, en particulier celle de Mauvais sang sur « Modern Love ». Un film d’une rare intensité en quarante minutes, une vraie œuvre de cinéma, unique, qui peut être dérangeante, déconcertante, mais émouvante, poétique et enthousiasmante. Restez jusqu’à la fin du générique qui réserve une belle surprise.

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