REQUIEM(S)
Angelin Preljocaj est né en France en 1957. Il débute des études de danse classique avant de se tourner vers la danse contemporaine. En 1980, il part pour New York afin de travailler avec Zena Rommett et Merce Cunningham, puis continue ses études en France auprès de Viola Farber et de Quentin Rouillier. Il rejoint ensuite Dominique Bagouet jusqu’à la création de sa propre compagnie en décembre 1984. Depuis, il a chorégraphié́ une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes. Il s’associe régulièrement à d’autres artistes dans des domaines divers tels que la musique (notamment Goran Vejvoda, Air, Laurent Garnier, Granular Synthesis), les arts plastiques (Claude Lévêque, Subodh Gupta, Adel Abdessemed), le design (Constance Guisset), la mode (Jean Paul Gaultier, Azzedine Alaïa), le dessin (Enki Bilal) et la littérature (Pascal Quignard, Laurent Mauvignier)… Ses créations sont reprises au répertoire de nombreuses compagnies, dont il reçoit également des commandes ; une petite dizaine d’entre elles sont entrées au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. Il a réalisé́ plusieurs films, notamment Un trait d’union, Annonciation (1992 et 2003) et Blanche Neige (2009). En 2011, il signe pour Air France le film publicitaire L’Envol qui reprend la chorégraphie du Parc. Son premier long métrage, réalisé́ avec Valérie Müller, Polina, danser sa vie, est sorti en 2016. Plusieurs ouvrages ont été édités autour de son travail, et il a reçu de nombreux prix dont le « Benois de la danse », le « Bessie Award » et le « Grand Prix National de la danse ». En avril 2019, il a été́ élu à l’Académie des Beaux-Arts au sein de la nouvelle section chorégraphie. Aujourd’hui composé de 24 danseurs permanents, le Ballet Preljocaj / Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, est installé depuis 2006 au Pavillon Noir, un lieu entièrement dédié́ à la danse.
Preljocaj s’est définitivement affranchi de la danse classique. Son spectacle Requiem(s) est somptueux ; une danse puissante, précise, inventive, qui nous parle de la mort mais également de la vie car il y a une certaine joie et une forme d’apaisement dans cette création. Les tableaux s’enchainent sur la musique des Requiem de Mozart (un passage particulièrement sublime), de Ligeti, sur les cantates de Bach ou des chants médiévaux mais également sur du hard rock (le célèbre Angels deserve to die de System of a Down). La première scène préfigure une naissance. Trois quatuors de danseurs dans la pénombre. Au-dessus d’eux, trois cocons oblongs, d’où glissent des silhouettes, bras, puis jambes, accueillis par les groupes au sol qu’elles rejoignent pour s’élancer dans un court ballet frénétique, et finissent par mourir. Les lumières signées Eric Soyer, les costumes d’Eleonora Peronetti dans les noirs et blanc, chair, avec des carrés à la Mondrian, ajoutent à la magie du spectacle. La mort n’est pas effrayante. Elle est toute de blanc vêtue, arrache un enfant à ses parents qui le laissent partir. Ce deuil qui imprègne cette chorégraphie est celui du chorégraphe qui, en 2023, a perdu ses deux parents et un ami cher : » Avec cette pièce, je voudrais évoquer les sentiments complexes que l’on ressent à la perte d’un être cher. » On y retrouve sa culture religieuse, Piétas, descentes de croix, déposition. On distingue également une évocation de la Shoah. La voix caverneuse de Gilles Deleuze, extraite de son Abécédaire, cite les paroles de Primo Levi sur » la honte d’être un homme » quand celui-ci est capable des pires horreurs, et la « honte d’avoir assez pactisé pour survivre », ou affirme que » la base de l’art est de libérer la vie que l’Homme a emprisonnée. » Dans une succession de tableaux traversés de solos, de pas de deux, de grands mouvements d’ensemble, portés par de magnifiques danseurs et danseuses, d’une beauté bouleversante, Preljocaj célèbre dans un même mouvement la mort et la vie qui reprend et console.