Les Fantômes

Auteur : Jonathann Millet, né en 1985, est un réalisateur, scénariste, directeur de la photographie français. Après des études de philosophie, il part filmer des pays lointains ou inaccessibles pour des banques de données d’images. Seul avec sa caméra, il traverse et filme une cinquantaine de pays. Il réalise ensuite plusieurs courts métrages de fiction (dont Et Toujours Nous Marcherons en 2016) ainsi que des documentaires (Ceuta, Douce Prison sorti en salles en 2014, Dernières Nouvelles Des Étoiles, tourné en Antarctique et La Disparition, tourné en Amazonie). Son premier long métrage de fiction Les Fantômes a été présenté en ouverture de la Semaine de la critique à Cannes 2024.

Interprètes : Adam Bessa (Hamid) ; Tawfeek Barhom (Harfaz)

Résumé : Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.

Analyse : Un premier film magistral, puissant, qui ne vous lâche pas de la première à la dernière minute ; un thriller qui relate la traque de tortionnaires du régime syrien de Bachar el-Assad qui se cachent parmi des réfugiés en Europe. Hamid a été torturé dans la prison militaire de Saidnaya. Bien qu’ayant la tête dans un sac et n’ayant jamais vu son tortionnaire, il connait ses pas (12 avant de l’atteindre depuis son entrée dans la salle de torture), sa voix, son odeur, la manière dont il frappait, toujours du même côté et qui dénotait la gêne d’une main. Dans une mise en scène parfaitement maîtrisée et remarquable pour un premier film de fiction, avec intelligence et subtilité, Jonathan Millet relate à travers cette trame narrative, la difficulté du deuil, la difficulté à oublier les humiliations et les souffrances subies dans sa chair et l’errance psychologique qui en découle. Jamais il n’a la maladresse de montrer les tortures. Elles nous sont racontée à travers un enregistrement audio qu’Hamid écoute longuement comme pour exorciser ce qu’il a vécu. Bien qu’en France, en relative sécurité, et sur les pas de son tortionnaire, il est toujours hanté par la peur et les souvenirs douloureux d’un passé qui ne s’efface pas. Tous ses sens sont en éveil, l’ouïe quand il se rapproche au plus près de sa proie pour écouter ses conversations et tenter de reconnaître les intonations d’une voix qu’il redoutait tant, l’odorat qui annonçait les séances de torture, la vue dans de longues séquences de traque où il observe avec un mélange de certitude et de doute Harfaz (Tawfeek Barhom, vu dans La conspiration du Caire) en lequel il pense reconnaître son tortionnaire. Hamid fait partie d’une cellule constituée de personnes qui traquent inlassablement les criminels de guerre, comme en son temps les cellules qui ont traqué les criminels nazis. Pour ne pas éveiller l’attention des algorithmes par l’utilisation de mots comme « bombe », « attaque », « mort » ou « tuer », les membres du réseau communiquent entre eux astucieusement à l’aide d’un jeu vidéo guerrier. Ces êtres sont devenus des espions non par goût ou par jeux mais en raison de leur histoire personnelle tragique. Le réalisateur a longuement infiltré ce milieu pour réaliser son film et s’est inspiré d’histoires vraies. « Les exilés apprennent à avoir un faux nom, un faux pays d’origine. Ils sont obligés de mentir, de faire attention à tout, de tromper sur leur identité, avec tout ce que cela comporte de risques », explique le réalisateur. Il faut saluer le jeu extraordinaire d’Adam Bessa qui s’est admirablement glissé dans son personnage avec ce regard inquisiteur et inquiétant, et retransmet remarquablement les tourments qui agitent Hamid. Il est constamment aux aguets, avec un regard perçant et inquisiteur, renifle sa proie, l’observe inlassablement, avec obsession, au bord de la gaffe, lui qui doit rester discret. On tremble constamment pour lui. Un film magistral et très prometteur.

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