Les graines du figuier sauvage

Auteur : Mohammad Rasoulof, né en 1973 à Chiraz, est un réalisateur et scénariste iranien. Il étudie la sociologie puis le montage cinématographique. Il réalise, à partir de 2002, huit films dont les plus connus sont La Vie sur l’eau (2005), Au revoir (2011), Les manuscrits ne brûlent pas (2013), présenté à Cannes dans la section Un certain regard, prix FIPRESCI, Un homme intègre (2017), présenté au festival de Cannes dans la section Un certain regard, prix Un certain regard. Ce film lui vaut des ennuis dans son pays (passeport confisqué, convocation à un interrogatoire) par les autorités qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. En décembre 2010, il est arrêté avec Jafar Panahi, avec qui il coréalise un film, pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique d’Iran ». Il est condamné à un an de prison et Pahahi à six. En juillet 2019 il est condamné de nouveau à un an de prison pour les mêmes motifs. Le diable n’existe pas a remporté l’Ours d’Or à la Berlinale 2020. Incarcéré en 2022 et 2023, condamné au printemps dernier à cinq ans de prison, à des coups de fouet, à une amende et à la confiscation de ses biens pour “collusion contre la sécurité nationale ; privé de son passeport, il a réussi à fuir l’Iran dans des conditions difficiles qui forcent le respect, traversant à pied les montagnes iraniennes, et à présenter son dernier film à Cannes, Les graines du figuier sauvage, sélectionné dans la compétition officielle. Il a obtenu le Prix spécial du jury, le Prix FIPRESCI de la critique internationale, le Prix du jury œcuménique, le Prix François-Chalais et le Prix des cinémas art et essai.

Interprètes : Misagh Zare (Iman) ; Soheila Golestani (Najmeh, sa femme) ; Masha Rostami (Rezvan, la fille ainée) ; Setareh Maleki (Sana, la fille cadette)

Résumé : Dans un Téhéran secoué par des troubles politiques et sociaux, Iman, enquêteur au tribunal révolutionnaire, découvre que son arme de service a disparu. Il soupçonne sa femme et ses filles, imposant des mesures draconiennes qui mettent à rude épreuve les liens familiaux.

Analyse : Je n’ai rien contre la palme d‘or décernée par le jury de Greta Gerwig. J’aurai l’occasion d’en reparler. Mais il reste une incompréhension et une grande déception que ce jury n‘ait pas décernée au Graines du figuier sauvage la récompense suprême car ce film a été le plus impressionnant, le plus fort, le plus beau de cette sélection cannoise et certainement l’évènement cinématographique de cette rentrée. Il a dû se contenter d’un « Prix spécial », sorte de hochet qui peut être interprété comme « on salue votre courage mais ce n’est pas une œuvre de cinéma. »  

Avant d’analyser le film je voudrais insister sur les conditions du tournage. Réalisé dans une totale clandestinité, dans le huit clos de l’appartement familial, dans la reconstitution de l‘administration où travaille le père, puis dans la maison à la campagne. Également à l’extérieur, notamment dans la seconde partie du film, en particulier lors d’une course poursuite en voiture ou dans les ruines d’un vieux village disparu de la carte sans doute à la suite d’un tremblement de terre comme en a connu beaucoup l’Iran. Tout en jouant au chat et à la souris avec la censure, le réalisateur n’était jamais sur le plateau mais à distance respectable. Conditions difficiles dont il a fait sa force.

Malgré ces difficultés il nous offre un film magistral, implacable, qui est non seulement un film politique, brûlot contre la dictature des mollahs, contre les atteintes aux droits de la personne, contre un régime liberticide qui réprime sauvagement sa jeunesse qui a initié le mouvement « Femmes, Vie, Liberté », mais également une véritable œuvre de cinéma. Un film puissant, implacable, né de la rage qui habite Rasoulof contre le régime iranien ; un film qui reconstitue dans la cellule familiale les maux de la société iranienne. Ce qui fait l’horreur du régime va s’infiltrer dans ce huit clos familial jusqu’à le fissurer. Les personnages sont des métaphores. Iman, le père de famille, qui vient d’avoir une promotion, nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire, ce qui est un marchepied pour devenir juge d’instruction, ce à quoi il aspire, représente le régime. Il est mal à l’aise de devoir obéir aux injonctions du procureur qui lui demande de signer constamment des ordres d’exécution alors qu’il n’a pas le temps de consulter les dossiers. Mais il obéit car il est très religieux et est convaincu du bien-fondé des valeurs du régime. Nous sommes en plein mouvement de révolte des femmes iraniennes après la mort de Mahsa Amini et le régime exécute en masse de jeunes étudiants et étudiantes dont le crime est d’être descendu dans la rue manifester pour demander plus de liberté. Ses deux filles, dont une est à l’université, représentent les aspirations de cette jeunesse qui se révolte. Elles sont très sensibles à ce mouvement, regardent en boucle la répression sur les réseaux sociaux et s’opposent frontalement à leur père. Elles ont une amie qui a été blessée dans les manifestations, qui a reçu des balles de chevrotine dans l’œil, et qui vient se réfugier chez elles, symbole de la barbarie du régime. Un cinéma engagé, une œuvre forte et courageuse, un film brillant, d’une grande puissance, une merveille d’écriture et de mise en scène, qui sur près de trois heures cumule plusieurs genres : film politique, peinture sociale, intimisme d’un huit clos familial, suspense, thriller paranoïaque et road-movie. Une tension permanente et oppressante qui s’accentue nettement dans la deuxième moitié du film, et qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère oppressante d’un Shining de Stanley Kubrick. La force du film tient également à l’utilisation des vidéos sauvages prises pendant les manifestations et qui montrent la brutalité du matraquage des manifestantes par les policiers, une jeunesse blessée, assassinée. C’est incontestablement le meilleur film de Mohammad Rasoulof, qui est, je n’hésite pas à l’écrire, un véritable chef d’œuvre, imposant par sa maîtrise, par la fluidité de ses plans, dont la dernière scène, magistrale, préfigure les espoirs du réalisateur dans le rôle des femmes et dans une société qui aspire à la liberté. 

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