Autrice : Mati Diop, née en 1982 est une actrice et réalisatrice franco-sénégalaise. Elle est la fille d’une mère française et du musicien sénégalais Wasis Diop, ainsi que la nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety. Elle grandit à Paris et, influencée par le travail de son oncle, elle s’oriente vers le cinéma. Elle s’occupe de conceptions sonores et vidéos pour le théâtre et réalise des courts métrages. En 2008, elle joue son premier rôle principal au cinéma dans le film de Claire Denis, 35 rhums. Cette même année, elle présente 1000 soleils au Festival de Cannes, un projet de documentaire sur le film de son oncle Touki Bouki (1973), qui est sorti en 2013 sous le titre Mille soleils. Son documentaire Atlantiques obtient le Tigre du meilleur court-métrage en 2010 lors du festival international du film de Rotterdam. Atlantique, son premier long métrage (voir fiche du 22 octobre 2019), a obtenu à Cannes 2019 le Grand Prix. Dahomey son second long métrage a obtenu l’Ours d’or à la Berlinale 2024.
Résumé : Novembre 2021, vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin.
Analyse : Le thème du retour irrigue le cinéma de Mati Diop. Dans son premier long métrage Atlantique, l’esprit des jeunes gens disparus en mer revenaient hanter, la nuit, les mères éplorées. Dans ce second film la réalisatrice filme la restitution de 26 objets d’art royaux, spoliées en 1892 au moment de la conquête du royaume du Dahomey, ancien nom du Bénin, par la France sous le commandement du Général Alfred Dodds. La réalisatrice a planté sa caméra au musée du quai Branly au moment des préparatifs des statues, leur inspection minutieuse, ici un manque, ici des éraflures, ici encore une fissure, métaphore de celle qui s’est produite plus d’un siècle plus tôt. Pour être au plus près du ressenti et de l’âme des trésors royaux, la caméra se laisse enfermer dans les caisses de bois, d’où l’on entend le bruit des clous qui ferment ce sarcophage. Puis de la même manière elle filme l’arrivée des œuvres d’art à Cotonou. Le contraste est saisissant entre l’atmosphère quasi aseptisée du quai Branly et la fête de toute une population qui danse chante tout au long du cortège des camions, manifestant la joie d’un affront lavé, d’un peuple dépossédé qui retrouve sa culture. La fierté qu’on lit dans le regard de ceux venus admirer leur trésor, est très éloquente. Puisant dans ses racines africaines, la réalisatrice fait côtoyer le réel et le surnaturel. Le lot 26 qui représente le roi Ghézo, neuvième roi du royaume du Dahomey, nous parle d’une voix caverneuse presque inhumaine venue du fond des âges, et raconte son long emprisonnement dans les différents musées où il a été entreposé, Musée d’ethnographie du Trocadéro puis Musée du quai Branly, sur les mots en langue fon-gbe du poète haïtien Makenzy Orcel, retrouvant ainsi son âme et toute sa dignité. Il s’interroge sur l’identité qui lui a été donnée, « numéro 26 », comme un numéro de prisonnier. On ne peut pas ne pas penser au film d’Alain Resnais et de Chris Marker sur le thème du déracinement de l’art africain, Les statues meurent, censuré pendant onze ans parce qu’il interrogeait la place de l’art africain dans les musées européens. La réalisatrice sait ménager les silences comme pour laisser au spectateur le temps de la réflexion. Elle a eu l’idée de réunir des étudiants de l’Université d’Abomey-Calavi qui dans des débats vifs et passionnants analysent la signification symbolique, philosophique, historique et sociale du retour de ces statues dans leur pays d’origine. Que signifie la restitution de 26 pièces lorsque des milliers ont été pillées. Certains ne sont pas dupes de la portée politique de cette restitution pour les personnalités politiques en place tant au Bénin qu’en France. Elle filme également le regard des visiteurs en multipliant les surcadrages, à travers les vitres qui entourent les statues observées, tandis qu’un visiteur leur souhaite la bienvenue en leur murmurant un chant traditionnel (photo de l’affiche). Un documentaire puissant, intelligemment traité, flirtant avec la fiction, poétique assurément, éminemment politique sur le préjudice colonial subi par les états africains.