Auteur : Pedro Almodovar est un réalisateur, scénariste, producteur espagnol de 66 ans. Très tôt il a dans l’idée de faire du cinéma. Son premier long métrage date de 1980, où il manifeste déjà son goût pour ses thèmes favoris, les marginaux en tout genre. Son succès international vient en 1989 avec Femmes au bord de la crise de nerfs, couronné par 5 Goya. Même si la thématique sexuelle de ses films dérange parfois, il est considéré comme l’un des chefs de file de la Movida espagnole. Dans Talons aiguilles il change un peu de style et explore les relations mère-fille. Suit en 1999 Tout sur ma mère qui lui vaut de nombreuses récompenses à l’étranger, puis dans la même veine en 2002 Parle avec elle, considéré comme son œuvre la plus mature. Viennent ensuite, pour les plus connus, Volver (2006), Etreintes brisées (2009), La piel que habito, présenté à Cannes en 2011, et Les amants passagers paru en 2013.
Résumé : Julieta vit à Madrid et s’apprête à partir au Portugal pour suivre son compagnon. Elle rencontre fortuitement dans une rue, Béa, l’amie d’enfance de sa fille Antia. Elle lui apprend qu’elle a croisé Antia une semaine plus tôt. Julieta n’a pas revu sa fille depuis 12 ans. Elle change alors ses projets et loue un appartement dans l’immeuble où elles avaient habité dans l’espoir de la retrouver. Elle décide de lui écrire une lettre.
Analyse : Ceux qui pensent qu’Almodovar va faire éternellement de l’Almodovar, seront assurément déçus par ce film. Point de personnages au bord de la crise de nerf ou d’hystérie sur commande, pas d’humour outrancier, pas d’excentricité. C’est un film intimiste, délicat, profond, qui a une dimension tragique et une puissante force émotionnelle.
Pour la trame du récit Almodovar s’est inspiré de trois nouvelles de la canadienne Alice Munro, Prix Nobel de littérature 2013 (Hasard, Bientôt et Silence) qu’il a condensées dans une mise en scène où le passé remonte avec beaucoup d’habileté dans le présent. Pour incarner Julieta à deux âges de sa vie (25 et 50 ans), il a eu recours à deux magnifiques actrices (comme toujours chez lui), Emma Suarez pour la Julieta du prologue et de la fin, et Adriana Ugarte, jeune actrice qui, comme la précédente, joue pour la première fois sous sa direction. C’est un riche portait de femme qu’il nous présente, traité à travers des thèmes chers au réalisateur : le rapport mère-fille, le désir, l’amour passionnel, la jalousie, la culpabilité surtout qui irrigue tout le film. Julieta est une femme seule. Tous les êtres chers autour d’elle ont disparus ; mais le deuil ne peut jamais se faire de la disparition d’un être que l’on sait vivant, surtout lorsqu’il s’agit de son propre enfant. Julieta est très émouvante car elle porte en elle cette blessure au fer rouge que peut éprouver une mère qui s’est aliéné son enfant sans comprendre pourquoi. Qu’a-t-elle pu faire pour mériter ce rejet ? Peu à peu son secret, qu’elle a profondément enfoui, s’éclaircit dans cette lettre qu’elle écrit pour sa fille et qui est l’occasion d’un retour au passé, symbolisé par une sculpture priapique qui accompagne Julieta partout et dont on comprend ensuite l’origine et la signification ; on comprend également pourquoi Antia tient sa mère pour responsable du malheur qui les a frappées.
Ces sentiments sont traités avec délicatesse et virtuosité. Le premier plan s’ouvre sur un superbe pli de soierie rouge vif qui occupe toute la surface de l’écran sur les accords mélancoliques d’Alberto Iglesias, et qui se révèle être un gros plan sur la robe de Julieta. Le clinquant et les couleurs criardes auxquels nous avait habitué Almodovar laissent place ici à des plans qui par leur composition et leur couleur, où dominent le rouge et le bleu, sont de véritables œuvres d’art. Son chef opérateur, Jean-Claude Larrieux, a magnifiquement traduit les vœux coloristes du réalisateur. La couleur sert de support au récit. Pour évoquer la Julieta de 25 ans les couleurs explosent. Elles sont plus ténues et discrètes lorsqu’elles accompagnent la femme mûre aux prises avec sa culpabilité et ses blessures. Les décors sont également particulièrement soignés. On sait dans quelle époque on est par le détail d’un tableau au mur ou de l’ameublement. De même, la présence du train dans lequel tout va se jouer, la confrontation de Julieta avec la mort, la culpabilité, le désir, l’amour ; ce train symbole de la disparition, de la fuite du temps mais également théâtre d’une première nuit d’amour, train qui n’est pas sans rappeler Hitchcock auquel le réalisateur se réfère volontiers et qu’il a cité à deux reprises dans sa conférence de presse à Cannes.
Enfin on n’oubliera pas une scène magnifique d’une grande élégance lorsque par la magie d’une serviette de toilette recouvrant son visage Adriana Ugarte laisse place à Emma Suarez.
Ça donne très envie d aller le voir!
Merci ma belle Eloïse !
Quel film émouvant que tu as su nous présenter avec bcp de sensibilité