Amir Reza Koohestani, Hearing
Amir Reza Koohestani est un iranien qui très tôt, à l’âge de 16 ans, s’intéresse à la littérature russe et occidentale. Il fait parti de l’Iranian Youth Cinema Society et, se passionnant pour l’écriture, publie ses premières nouvelles dans la presse de sa ville natale, Chiraz. À 18 ans, fasciné par le jeu des acteurs d’un spectacle joué dans un parc sur la guerre Iran-Irak, il rallie le Mehr Theatre Group. Sa première pièce Et le jour n’advint jamais ne recueille pas l’autorisation de représentation du ministère de la Guidance islamique. Après un passage à Manchester, où il étudie le théâtre documentaire, il retrouve Téhéran où il s’impose comme un acteur important du renouveau théâtral iranien. Ses œuvres, de style poétique, s’attachent à explorer les difficultés de la vie quotidienne de ses personnages, pris dans la tourmente de leur environnement.
Hearing, à travers un fait divers qui n’est que symbolique, s’attache à la situation des femmes en Iran. Deux actrices qui apparaîtront à des âges différents, relatent un interrogatoire auquel elles ont été soumises par la gardienne du dortoir d’un internat pour fille, qui accuse l’une d’elle d’avoir reçu un homme dans sa chambre le soir du Nouvel An. Depuis 12 ans Samaneh, la camarade de la « coupable », revit l’interrogatoire et se culpabilise de ce qu’elle aurait dû répondre et n’a pas dit. Les dialogues de l’interrogatoire sont répétés, avec de petits changements qui reflètent à la fois le travail de mémoire et la sape sourde de la culpabilité. Ainsi coexistent le réel et l’imaginaire. Neda, la « coupable » est partie en exil en Suède, d’où elle ne reviendra pas car on apprend qu’elle s’est suicidée. L’originalité de la mise en scène est d’avoir mis la gardienne inquisitrice dans le public. De sorte qu’on pense un moment à une voix off. De plus les protagonistes qui apparaissent la plus part du temps seules sur scène, s’échappent en coulisse où on imagine un dialogue qui continue. L’utilisation de la vidéo avec l’échange entre les protagonistes d’une caméra frontale qui les filme tour à tour semble indiquer l’interchangeabilité des positions de la femme en Iran ; mais le metteur en scène avait-il besoin d’utiliser la vidéo pour exprimer ce point de vue ? Son utilisation maintenant assez systématique dans les pièces de théâtre n’est intéressante que si elle ajoute au propos ou le renforce (comme dans la pièce Les Damnés). Ici elle m’a paru inutile tant le propos est clair.
Marco Layera, La dictatura de la cool (La dictature du cool)
Tout en menant des études de philosophie et de criminologie à l’université, Marco Layera suit une formation à l’école du théâtre La Matrice et au théâtre L’Image de Valparaiso. Il fonde en 2007 la compagnie La Re-Sentida avec de jeunes acteurs qui, comme lui, conçoivent le théâtre comme une tribune politique, donc subversif et inventif. Lauréat du prix Eugenio Guzman décerné par l’Université du Chili, il contribue à la revue Pointages de l’université catholique et au supplément Alias du journal Il manifesto. La compagnie a déjà été présente en Avignon, en 2014, dans une pièce qui voulait questionner l’héritage de Salvador Allende en reprenant son dernier discours lors du coup d’État de Pinochet, La Imaginaciòn del futuro.
Un soir de 1er mai à Santiago, tandis que des manifestations se déroulent dans la rue, un groupe d’amis de l‘élite intellectuelle et bourgeoise, se réunit pour fêter leur ami, le propriétaire de la maison, qui vient d’être nommé Ministre de la Culture. Contrairement à leur attente, celui-ci va boycotter la fête et la transformer en cauchemar, pour eux, et dans une certaine mesure aussi pour nous, spectateurs. La critique des bobos est féroce, grossière, violente. On est happés dans cette folie à la fois du Ministre, grossier, hystérique, excessif, vulgaire, et de ses amis qui ne le sont pas moins. Tous les thèmes pour politiciens en mal de critique y passent : les PD (où celui qui est découvert tel est forcé par ses amis de leur montrer son trou du c… !), les artistes contemporains etc… Spectacle haineux à l’égard de l’intelligentsia vérolée et complaisante à l’égard d’un système qu’elle est incapable de renverser. Un discours où toutes les luttes sont dérisoires (y compris celle pour l’environnement), à part la lutte des classes (un peu dépassé non ?). La caméra est abondamment utilisée, à la manière de la pièce Les Damnés, où les acteurs sont filmés de près sur le plateau ou dans les coulisses, et projetés sur un écran. Mais la comparaison s’arrête là ; car ce qui était magnifique dans l’une devient ici vulgaire et prétentieux. C’est facile de cogner à bras raccourcis sur les bobos. Ce sont généralement des intellectuels qui professent des idées de gauche. Bien sûr ils participent au système en ce sens qu’ils ont fait carrière, qu’ils ont des positions dans la vie qui leur permettent de vivre aisément. Mais ils ne sont ni compromis dans la finance ni dans le capitalisme mondialisé. Ils sont de gauche parce qu’ils aspirent à plus de justice sociale, à une meilleure répartition des richesses, à un monde où il n’y aurait plus de discriminations fondées sur la religion, la race, l’âge ou le sexe. Un jour mon petit-fils me reprochait de manger dans des couverts en argent et d’être de gauche. Contradiction qui n’est qu’apparente ; parce que de gauche doit-on vivre dans un taudis, s’habiller comme un gueux et ne rien posséder que sa chemise ?